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votre ennemi même, pour celui qui vous à outragé cent fois, et dont les injures les plus avilissantes subsistent imprimées contre vous dans son Dictionnaire néologique. Quelles seraient la surprise et l’indignation du prince royal, qui m’honore d’une bonté si excessive et qui m’a lui-même daigné témoigner par écrit l’horreur que l’abbé Desfontaines lui inspire ? Quels seraient les sentiments de Mme la marquise du Châtelet, de tous mes amis, j’ose dire de tout le monde ? Consultez M. d’Argental. Demandez enfin à votre siècle, et voyez, peut-être (si on le peut), dans la postérité, voyez, dis-je, s’il serait glorieux pour vous d’avoir abandonné votre ami intime et la vérité pour Desfontaines, et d’avoir plus craint de nouvelles injures de ce misérable que la honte d’être publiquement infidèle à l’amitié, à la vérité, aux liens de la société les plus sacrés. Non, sans doute, vous n’aurez jamais ce reproche à vous faire. Vous montrerez la fermeté et la noblesse d’âme que je dois attendre de vous ; l’honneur même de prendre publiquement le parti de l’amitié n’entrera pas dans vos motifs. L’amitié seule vous fera agir, j’en suis sûr, et mon cœur me le dit ; il me répond du vôtre. L’amitié seule, sans d’autre considération, l’emportera. Il faut que l’amitié et la vérité triomphent de la haine et de la perfidie. C’est dans ces sentiments et dans ces justes espérances que je vous embrasse avec plus de tendresse que jamais.


1006. — À M. LE MARQUIS D’ARGENS.
Le 2 janvier.

Je reçois votre paquet, mon cher ami, et je vous félicite de deux choses qui me paraissent importantes au bonheur de votre vie : de votre raccommodement avec votre famille, et de votre ardeur pour l’étude. Mais songez à votre santé, modérez-vous, et n’étudiez dorénavant que pour votre plaisir. Tout ce qui sort de votre plume me fait grand plaisir ; mais je fais plus de cas encore d’une bonne santé que d’une grande réputation.

Je ne désespère pas que vous ne reveniez un jour en France. Vous verrez qu’à la fin on aime à revoir sa patrie, ses proches, ses amis. Votre séjour dans les pays étrangers aura servi à vous orner l’esprit. Vous auriez peut-être été, en France, un officier débauché ; vous serez un savant, et il ne tiendra qu’à vous d’être un savant respecté. Le temps fait oublier les fautes de jeunesse, et le mérite demeure.

Écrivez-moi, je vous en prie, ce que vous savez des Ledet.