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l’exemple de tant d’autres poëtes, il sait s’en servir utilement pour se procurer aussi celles de Plutus.

Après un séjour de trois mois à la ville, milord Voltaire eut besoin, pour sa santé, de prendre l’air à la campagne. Toujours attentif à plaire à mon hôte, je sus lui procurer une jolie maison, à une lieue de Rouen. Avant que de partir, le sieur de Voltaire, par un trait d’économie, voulut congédier un valet que j’avais arrété pour lui, à 20 sols par jour ; mais pour le coup. Voltaire trahit le seigneur anglais : il ne voulut payer le valet que sur le pied de 10 sols ; il coupa ainsi ses gages par la moitié. Je tirai 40 francs de ma bourse, et terminai la contestation.

Ces 40 francs ne m’ont jamais été rendus. Il est vrai que le sieur de Voltaire parla galamment de les acquitter avec une pendule qui manquait à la parure de la chambre où il couchait ; mais ni la pendule ni le payement ne sont venus, et ce n’est pas la seule petite dette que j’aie à répéter contre lui.

Le sieur de Voltaire passa un mois a la campagne. Il y vivait comme dans l’âge d’or, d’herbes, d’œufs frais et de laitage. La jardinière qui lui fournissait ces aliments champêtres lui rendait aussi d’autres services. Elle allait trois fois la semaine à la ville pour les épreuves de l’impression. Le sieur de Voltaire ne fut pas ingrat de ses bons offices ! Pour récompenser ses peines et lui payer un mois de pension, il lui donna noblement six livres. Cette femme me porta ses plaintes, me représenta que ses œufs n’étaient seulement pas payés, et par honneur, je pris encore sur moi d’apaiser ses murmures et de la satisfaire.

Je le perdis enfin, cet hôte illustre. Il s’en retourna à Paris, après un séjour de sept mois, tant chez moi qu’à la campagne d’un de mes amis, et le rôle de seigneur anglais finit glorieusement par une pièce de vingt-quatre sols, dont sa générosité gratifia la servante d’une maison où rien ne lui avait manqué pendant un si long espace de temps, soit en santé, soit dans une maladie qu’il y avait essuyée.

Ce n’est qu’avec une peine extrême que j’ai pris sur moi d’entrer dans ce détail. Je serais au désespoir qu’il tombât dans l’esprit de quelqu’un que j’aie dessein de reprocher au sieur de Voltaire la dépense qu’il m’a occasionnée, ni de lui demander qu’il m’en tienne compte. En exposant sa conduite et la mienne, je n’ai pensé qu’à en montrer l’opposition. J’ai voulu faire voir, par l’empressement que j’ai toujours eu à obliger le sieur de Voltaire, et par les procédés que j’ai toujours tenus avec lui, combien j’étais éloigné d’une lâcheté pareille à celle de lui demander un payement que j’aurais reçu ; qu’au contraire l’indignité avec laquelle il en use aujourd’hui à mon égard est précisément dans son caractère, que son penchant l’entraîne naturellement vers l’ingratitude, et le porte à frustrer généralement tous ceux à qui il est redevable.

À peine le sieur de Voltaire fut de retour à Paris qu’il me manda de le venir trouver pour une affaire importante qu’il voulait me communiquer. Je partis sur-le-champ et me rendis à ses ordres chez la dame de Fontaine-Martel, où il avait établi son domicile, car, quoique ce riche partisan de la république des lettres jouisse de 28,000 livres de rente, cependant il n’a