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Vous auriez donc pu dire que César est un grand homme, ambitieux jusqu’à la tyrannie ; et Brutus, un héros d’un autre genre, qui poussa l´amour de la liberté jusqu’à la fureur.

Vous pouviez remarquer qu’ils sont représentés tous condamnables, mais à plaindre, et que c’est en quoi consiste l’artifice de cette pièce. Vous paraissez surtout avoir d’autant plus tort de dire que les romains approuvaient le parricide de Brutus qu’à la fin de la pièce les Romains ne se soulèvent contre les conjurés que lorsqu’ils apprennent que Brulus a tué son père. Ils s’écrient :

· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · O monstre que les dieux
Devaient exterminer · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·

(Acte III, scène viii.)

Je vous avais dit, à la vérité, qu’il y avait, parmi les Lettres de Cicéron, une lettre de Brutus[1] par laquelle on peut inférer qu’il avait tué son père pour la cause de la liberté. Il me semble que vous avez assuré la chose trop positivement.

Celui qui a traduit la lettre italienne de M. le marquis Algarotti semble être tombé dans une méprise à l’endroit où il est dit que c’est un de ceux qu’on appelle doctores umbratici[2] qui a fait la première édition furtive de cette pièce. Je me souviens que quand M. Algarotti me lut sa lettre en italien, il y désignait un précepteur qui, ayant volé cet ouvrage, le fit imprimer. Cet homme a même été puni ; mais, par la traduction, il semble qu’on ait voulu désigner les professeurs de l’Université. L’auteur de la brochure qu’on donne toutes les semaines sous le titre d´Observations[3], etc., a pris occasion de cette méprise pour insinuer que M. le marquis Algarotti avait prétendu attaquer les professeurs de Paris ; mais cet étranger respectable, qui a fait tant d’honneur à l’université de Padoue, est bien loin de ne pas estimer celle de Paris, dans laquelle on peut dire qu’il n’y a jamais eu tant de probité et tant de goût qu’à présent.

Si vous m’aviez envoyé votre préface, je vous aurais prié de corriger ces bagatelles ; mais vos fautes sont si peu de chose, en comparaison des miennes, que je ne songe qu’à ces dernières.

  1. « Sed mihi prius omnia dii deæque eripuerint, quam illud judicium, quo non modo hæredi ejus quem occidi non concesserim quod in illo non tuli, sed ne patri quidem meo, si reviviscat, ut, patiente me, plus legibus ac senatu possit. » (Bruti Epist. ad Cic.)
  2. Voyez, tome III, la note sur la Lettre de M. Algarotti. en tête de la Mort de César.
  3. Observations sur les écrits modernes, tome IV, page 189.