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Ne peut-on rapprocher le sage de l’amant ?
N’est-ce que chez les sots que l’amour pourra naître ?
Vos vers et votre esprit nous font assez connaître
Qu’on peut penser beaucoup, et sentir tendrement :
L’amour est des humains le plus cher avantage,
C’est le premier des biens, c’est donc celui du sage.
Que Vénus sache aimer, je n’en suis pas surpris ;
Trop de dieux ont goûté les faveurs de Cypris.
Mais au cœur de Pallas inspirer la tendresse,
Couronner la Raison des mains de la Mollesse,
Enchaîner la Vertu de guirlandes de fleurs.
C’est la première des douceurs,
Et le comble de la sagesse.

Voilà des vers qui échappent à ma philosophie. On pourrait les réciter s’ils étaient limés, mais non les donner. Oh quanti e quanti ne vedrete, when you are at Cirey !

Ceux qui reprochent à M. Algarotti le ton affirmatif ne l’ont pas lu. On n’aurait à lui reprocher que de n’avoir pas assez affirmé, je veux dire de n’avoir pas assez dit de choses, et d’avoir trop parlé. D’ailleurs, si le livre est traduit comme il le mérite, il doit réussir. À l’égard du mien, il est jusqu’à présent le premier en Europe qui ait appelé parvulos ad regnum cœlorum[1] car regnum cœlorum, c’est Newton, Les Français, en général, sont assez parvuli. Il n’y a point, comme vous dites, d’opinions nouvelles dans Newton, il y a des expériences et des calculs, et, avec le temps, il faudra que tout le monde se soumette. Les Regnault et les Castel n’empêcheront pas, à la longue, le triomphe de la raison. Adieu, Père Mersenne ; vous vous apercevrez bientôt des sentiments du prince royal pour vous.


919. — À M. HELVÉTIUS[2].
Le 10 août.

Je reçois dans ce moment, mon aimable petit-fils d’Apollon, une lettre de monsieur votre père[3], et une de vous ; le père ne veut que me guérir, mais le fils veut faire mes plaisirs. Je suis pour le fils ; que je languisse, que je souffre, j’y consens, pourvu que vos vers soient beaux. Cultivez votre génie, mon cher enfant.

  1. Matthieu, xix. 14.
  2. Helvétius (Claude-Adrien), né à Paris en janvier 1715, auteur du livre De l’Esprit, mort le 20 décembre 1771. à qui sont adressés les Conseils, tome XXIII, page 1 ; et les Remarqnes, même tome, page 5.
  3. Helvétius (Jean-Claude-Adrien), médecin, né en 1685, mort le 17 juillet 1755.