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tantôt à un luthérien, tantôt à un romain ? Je prie Votre Altesse royale de me pardonner ce tome de Mille et une Nuits.

Quum canerem reges et prælia, Cynthius aurem
Vellit, et admonuit.

(Virg, ecl. VI, v. 3.)

Votre Altesse royale est peut-être à présent a Clèves ou à Vesel. Pourquoi faut-il que je ne sois pas sur la frontière ! Mme  du Châtelet en avait une grande envie ; elle avait même imaginé d’aller vers Trêves, pour tâcher de voir le Salomon du Nord. Un homme de la maison du Châtelet a une petite principauté[1] entre Trêves et Juliers, que l’on pourrait vendre, et qui, peut-être, conviendrait à Sa Majesté. Mme  du Châtelet serait assez la maîtresse de cette vente : ce serait une belle occasion pour rendre ses respects au plus respectable prince de l’Europe. La reine de Saba viendrait avec un grand plaisir consulter le jeune Salomon ; mais j’ai bien peur que cette idée si flatteuse ne soit encore pour les Mille et une Nuits.

Le sieur Thieriot nous a fait la galanterie de faire parvenir à Cirey un petit mot de Votre Altesse royale, par lequel elle lui marquait que ses bontés pour moi ne sont point ébranlées par je ne sais quelles méprisables brochures qui paraissent quelquefois dans Paris contre moi, aussi bien que contre des gens qui valent beaucoup mieux que moi. Ces brochures, que le sieur Thieriot envoie à Votre Altesse royale, lui donneraient mauvaise opinion de l’esprit des Français, si elle ne savait d’ailleurs que ces misérables ouvrages sont le partage de la lie du Parnasse, qui compose ces misères encore plus pour gagner de l’argent que par envie. C’est l’intérêt qui les écrit, mais c’est quelquefois une secrète jalousie qui les distribue et qui les fait valoir.

Il est très-vrai que Mme  la marquise du Châtelet avait composé un Essai sur la nature du feu, pour le prix de l’Académie des sciences ; il est très-vrai qu’elle méritait d’avoir part au prix, et qu’elle en aurait eu à tout autre tribunal qu’à celui qui reçoit encore les lois de Descartes, et qui a de la foi pour les tourbillons.

Elle ne manquera pas d’avoir l’honneur d’envoyer à Votre Altesse royale ce Mémoire que vous daignez demander ; elle est digne d’un tel juge ; elle joint ses respects et ses sentiments aux miens.

  1. Voyez la lettre du mois d’août, n° 925.