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apologie paraisse en mon nom : cela n’empêcherait pas les bons offices du Pour et Contre.


569. — Á M. THIERIOT.
1er mars.

Mme la marquise du Châtelet vient de vous écrire une lettre dans laquelle elle ne se trompe que sur la bonne opinion qu’elle a de moi ; et mon plus grand tort, dans l’Épître dont elle approuve l’hommage, c’est de n’avoir pas dignement exprimé la juste opinion que j’ai d’elle.

Il s’en fallait de beaucoup que je fusse content de mon Épître dédicatoire et du Discours que je vous adressais ; je ne l’étais pas même d’Alzire, malgré l’indulgence du public. Je corrige assidûment ces trois ouvrages ; je vous prie de le dire aux deux respectables frères[1].

Si j’étais La Fontaine, et si Mme du Châtelet avait le malheur de n’être que Mme de Montespan, je lui ferais une épître en vers où je dirais ce qu’on dit à tout le monde ; mais le style de sa lettre doit vous faire voir qu’il faut raisonner avec elle, et payer à la supériorité de son esprit un tribut que les vers n’acquittent jamais bien. Ils ne sont ni le langage de la raison, ni de la véritable estime, ni du respect, ni de l’amitié, et ce sont tous ces sentiments que je veux lui peindre. C’est précisément parce que j’ai fait des petits vers pour Mlle de Villefranche, pour Mlle Gaussin[2], etc., que je dois une prose raisonnée et sage à Mme la marquise du Châtelet, Faites-la donc digne d’elle, me direz-vous : c’est ce que je n’exécuterai pas, mais c’est à quoi je m’efforcerai.

Non possis oculis quantum contendere Lynceus,
Non tamen idcirco contemmas lippus inungi ;
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Est quadam prodire tenus, si non datur ultra.

(Hor., lit). I, ep. i, v. 28.)

Je tâcherai, du moins, de m’éloigner autant des pensées de Mme de Lambert[3] que le style vrai et forme de Mme du Châtelet s’éloigne de ces riens entortillés dans des phrases précieuses, et de ces billevesées énigmatiques,

  1. D’Argental et Pont-de-Veyle.
  2. Voyez, tome X, les épitres à Mme de Montbrun-Villefranche et à Mlle Gaussin.
  3. On venait de publier un Recueil de divers écrits de Mme de Lambert. Parmi ces écrits se trouvait la Métaphysique d’amour.