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eût mieux fait d’apprendre au moins la sphère que de vouloir se moquer d’une dame respectable, qui savait ce qu’il ignorait. En voilà beaucoup à propos de poésie, mais je suis comme un amant qui se plaît encore à parler de la maîtresse qu’il a quittée.

Venons à un point plus important, car il s’agit de morale. La démarche du sieur Rousseau envers moi, et sa modération tardive, ne peuvent me satisfaire ; il ne peut encore être content lui-même, s’il se repent en effet de sa conduite passée. On ne doit rien faire à demi. Il parle d’humilité chrétienne et de devoirs, à la vue du tombeau, dont sa dernière maladie l’a approché ; nous sommes tous sur le bord du tombeau : un jour plus tôt, un jour plus tard, ce n’est pas grande différence.

Ce n’est point d’ailleurs la crainte de la mort qui doit nous rendre justes, c’est l’amour de la justice même. S’il est vrai qu’en effet il veuille être vertueux, que sa première démarche soit de désavouer les choses calomnieuses qu’il a débitées contre moi dans le journal de la Bibliothèque française[1]. Il sait en conscience qu’il est faux que j’aie jamais parlé de lui à M. le duc d’Aremberg, et la lettre et l’indignation de M. d’Aremberg en ont été des démonstrations assez convaincantes. Il sait que la petite histoire d’un prétendu ami à qui j’ai récité, dit-il, une épître impie chez un ambassadeur, il y a vingt ans, est un conte entièrement imaginé. Il sait que jamais je ne lui ai récité cette prétendue épître dont il parle. Il sait que jamais il ne m’a dit les choses qu’il prétend m’avoir dites au sujet de la Henriade.

S’il veut donc se réconcilier de bonne foi, il faut qu’il avoue que la chaleur de sa colère lui a grossi les objets, et a trompé sa mémoire ; qu’il a cru les brouillons qui ont réussi à nous rendre ennemis, et à nous faire le jouet des lecteurs. Il doit savoir, par soixante ans d’expérience, que le mal qu’on dit d’autrui ne produit que du mal. En un mot, étant l’agresseur envers moi, comme il l’a été envers tant de personnes qui ont plus de mérite que moi, m’ayant publiquement attaqué, il doit publiquement me rendre justice. C’est moi qui lui ai donné l’exemple, il doit le suivre. J’ai recommandé, il y a un an, aux sieurs Ledet et Desbordes de retrancher de la belle édition qu’ils font de mes ouvrages les notes diffamantes qui se trouvaient contre mon ennemi ; il ne reste qu’une épître sur la calomnie où il est cruellement traité. Je suis prêt de changer ce qui le regarde

  1. Tome XXIII, page 138.