Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/514

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

champ ma Table des couleurs, avec un petit mot de remarques.

Mme du Châtelet vous fait ses compliments. Je vous embrasse.

On fait une édition nouvelle de la Philosophie[1], qui sera peut-être un peu plus correcte.


885. — À M. R***[2].
À Cirey, ce 20 juin 1738.

Quelques affaires indispensables m’empêchèrent de vous répondre, monsieur, le dernier ordinaire, au sujet de la démarche que le sieur Rousseau a faite à mon égard, et de l’ode qu’il m’envoie. Quant à son ode, je ne peux que vous répéter ce que je vous en ai déjà dit ; et les avances de réconciliation qu’il me fait ne me feront point trouver cette ode comparable à ses premières. Omnia tempus habent. L’état où il est n’est plus pour lui le temps des odes.

Solve senescentem mature sanus equum, ne
Peccet ad extremum
[3].

Ceux qui ont dit que les vers étaient, comme l’amour, le partage de la jeunesse, ont eu raison. On peut étendre loin cette jeunesse. Je ne dirai pas avec M. Gresset que, passé trente ans, on ne doit plus faire de vers ; au contraire, ce n’est guère qu’à cet âge qu’on en fait ordinairement de bons. Voyez tous les exemples qu’en apporte M. l’abbé Dubos, dans son livre très-instructif de la poésie et de la peinture. Racine avait environ trente ans quand il fit son Andromaque : Corneille fit le Cid à trente-cinq. Virgile entreprit l’Énéide à quarante ans. Je pense donc à peu près comme l’Arioste, qui parle ainsi aux dames pour lesquelles il composa ses admirables rêveries d’Orlando furioso.

Sol la prima lanuggine vi essorto,
Tuffa a fugir, volubile e incostante ;
E corre i frutti non acerbi e duri,
Ma che non sien pero troppo maturi.

Il en est à peu près ainsi des poètes : il faut qu’ils ne soient ne troppo duri, ne troppo maturi. J’ai commencé la Henriade à

  1. Les Éléments de Newton.
  2. Il n’y a que cette initiale dans la Bibliothèque française, tome XXVIII, pages 132-137, d’où j’ai extrait cette lettre. Il parait que l’initiale R désigne M. Roch ou Roques, qui avait envoyé à Voltaire l’ode de J.-B. Rousseau sur sa paralysie. (B.)
  3. Horace, I, ép. i, v. 8-9.