Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/511

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec faiblesse. Je n’ai l’honneur d’envoyer qu’une pauvre épître[1] : oportet illum crescere, me autem minui[2].

Avec quelle ardeur vous courez
Dans tous les sentiers de la gloire !
Seigneur, lorsque vous vous battrez,
Il est clair que vous cueillerez
Ces beaux lauriers de la victoire ;
Et même vous les chanterez ;
Vous serez l’Achille et l’Homère.
Votre esprit, votre ardeur guerrière,
Des Français se feront chérir ;
Vous aurez le double plaisir
Et de nous vaincre et de nous plaire.

Je demande en grâce à Votre Altesse royale qu’une des premières expéditions de ses campagnes soit de venir reprendre Cirey, qui a été très-injustement détaché de Remusberg, auquel il appartient de droit. Mais, à la paix, ne rendez jamais Cirey ; je vous en conjure, monseigneur : rendez, si vous le voulez, Strasbourg et Metz, mais gardez votre Cirey, et, surtout, que le canon n’endommage point les lambris dorés et vernis, et les niches et les entresols d’Émilie. Je me doute qu’il y a en chemin une écritoire pour elle. Celle dont vous avez honoré M. Jordan va faire éclore d’excellents ouvrages. Si c’était un autre que Jordan, je dirais sur cette écritoire venue de votre main ce que je ne sais quel Turc[3] disait à Scanderbeg : « Vous m’avez envoyé votre sabre, mais vous ne m’avez pas envoyé votre bras. »

Votre Épître à Jordan est de la très-bonne plaisanterie ; celle à Césarion est digne de votre cœur et de votre esprit. Le Philosophe guerrier répond très-bien à son titre ; cela est plein d’imagination et de raison. Remarquez, je vous en supplie, monseigneur, que vous ne faites que de légères fautes contre la langue et contre notre versification. Par exemple, dans ce beau commencement :

Loin de ce séjour solitaire
Où, sous les auspices charmants
De l’amitié tendre et sincère, etc.

vous mettez la science non d’orgueil enflée.

  1. Cette épître, faisant suite aux Épîtres sur le Bonheur, est devenue le sixième des Discours en vers sur l’Homme.
  2. Jean, iii, 30.
  3. Mahomet II, et non Soliman, que cite Voltaire dans sa lettre du 12 mars 1740 à d’Argental, en y rappelant la même anecdote.