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commettre des incongruités pareilles. Je vous prie, reprenez-moi, et mettez-moi dans mon tort. Vous aurez trouvé que ce plaçons-y n’est pas assez harmonieux ; je l’avoue, mais il est plus intelligible.

Voilà ma pièce politique[1] telle que j’ai eu le dessein de la faire imprimer. J’espère qu’elle ne sortira point de vos mains ; vous en comprendrez aisément les conséquences. Je vous prie de m’en dire votre sentiment en gros, sans entrer dans aucun détail des faits. Il y manque un mémoire que j’aurai dans peu, et que vous pourrez toujours y faire ajouter.

Les Mémoires de l’Académie, que je fais venir, seront ma tâche pour cet été et pour l’automne. Je vous suis, quoique de loin, dans mes occupations, et comme une tortue se traîne sur les traces d’un cerf.

Le jeune homme, auteur de l’allégorie, charmé de votre approbation, sent échauffer sa veine. Elle a déjà produit quelque échantillon nouveau, comme vous le pourrez voir. Il n’y a que le nom de Voltaire qui nous fasse composer, tous tant que nous sommes. Ce n’est point notre colère qui nous vaut un Apollon, c’est vous qui nous le valez. La Mérope du chevalier Maffei est en chemin ; elle doit arriver en peu[2].

Le paquet dont on vous a donné avis, et que le substitut de M. Tronchin ne vous a point envoyé, contient quelques bagatelles pour la marquise : c’est un meuble[3] pour son boudoir. Je vous prie de l’assurer de l’estime que m’inspirent tous ceux qui savent vous aimer. Césarion me parait un peu touché de la marquise ; il me dit : Quand elle parlait, fêlais amoureux de son esprit, et, quand elle ne parlait pas, je l’étais de son corps.

Heureux sont les yeux qui l’ont vue, et les oreilles qui l’ont entendue ! mais plus heureux ceux qui connaissent Voltaire, et qui le possèdent tous les jours !

Vous ne sauriez croire à quel point je m’impatiente de vous voir. Je me lasse horriblement de ne vous connaître que par les yeux de la foi ; je voudrais bien que ceux de la chair eussent aussi leur tour. Si jamais on vous enlève, soyez sûr que ce sera moi qui ferai le rôle de Pâris[4]. Je suis à jamais, monsieur, votre très-fidèle ami.

Fédéric

883. — À FRÉDÉRIC, PRINCE ROYAL DE PRUSSE.
Juin[5].

Monseigneur, j’ai reçu une partie des nouvelles faveurs dont Votre Altesse royale me comble. M. Thieriot m’a fait tenir le paquet où je trouve le Philosophe guerrier et les Épîtres à M.M. Keyserlingk et Jordan. Vous allez à pas de géant, et moi, je me traîne

  1. Les Considérations sur l’état de l’Europe, dont il s’agit dans la lettre 854.
  2. Cet alinéa, omis dans l’édition de Kehl et dans l’édition Beuchot, est tiré des Œuvres posthumes.
  3. Une écritoire.
  4. Dans les éditions de Berlin et de Londres, il ya : « … comptez que ce sera moi qui ferai le rôle de Pâris. Soyez persuadé de tous les sentiments avec lesquels je suis votre très-fidèle ami. »
  5. C’est la réponse à la lettre 877.