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Demoulin est une tête picarde que je laverais bien, mais qu’il faut ménager, parce qu’il a le cœur bon, et que, de plus, il a mon bien entre ses mains. Dieu veuille qu’il y soit plus sûrement que mes Américains ! C’est un honnête homme ; mais je ne sais s’il entend les affaires mieux que le théâtre. Il m’aime ; il faut lui passer bien des choses. J’ai été confondu, je vous l’avoue, de voir les négligences barbares dont la précipitation avec laquelle on m’a joué a laissé ma pièce remplie ; elle en est défigurée. J’ai été bien fâché, je vous l’avoue. J’ai fait sur-le-champ un bel écrit à trois colonnes, pour être envoyé à M. d’Argental, à vous, et aux comédiens. Demoulin en est chargé. De plus, j’écris à chaque acteur en particulier. Enfin, s’il en est temps, il faut réparer ces fautes ; il y en a d’énormes. Croyez-moi ; j’ai mis mes raisons en marge. Je serai bien piqué si l’on ne se prête pas à la justice que je réclame, et je suis sûr que la pièce tombera, si elle n’est tombée. Je sais que toutes ces fautes ont été bien senties et bien relevées à la cour. Mon cher ami, il faut presser Sarrazin[1], Grandval, Mlle Gaussin, Legrand[2], de se rendre à mes remontrances. C’est là où j’ai besoin de votre éloquence persuasive. La dédicace à Mme la marquise du Châtelet doit absolument paraître ; le prêtre et la déesse le veulent.

Pour l’épître que je vous adressais, je ne suis pas encore décidé. Je suis convaincu qu’il faut une apologie. Qu’on attaque mes ouvrages, je n’ai rien à répondre : c’est à eux à se défendre, bien ou mal ; mais qu’on attaque publiquement ma personne, mon honneur, mes mœurs, dans vingt libelles dont la France et les pays étrangers sont inondés, c’est signer ma honte que de demeurer dans le silence. Il faut opposer des faits à la calomnie ; il faut imposer silence au mensonge. Je ne veux, il est vrai, d’aucune place ; mais quelle est celle où j’oserais prétendre si ces calomnies n’étaient pas réfutées ? Je veux qu’on dise : Il n’est pas de l’Académie, parce qu’il ne le désire pas ; et non pas qu’on dise : Il serait refusé. C’est ne me point aimer que de penser autrement, et je suis sûr que vous m’aimez. L’exemple de l’abbé Prévost ne me paraît pas fait pour moi. Je ne sais s’il a dit ou dû dire : Je suis honnête homme ; mais je sais moi, que je le dois dire, et que ce n’est pas une chose à laisser conclure comme une proposition délicate. Mes mœurs sont

  1. Pierre Sarrazin, retiré du théâtre en 1750, mourut le 15 novembre 1762.
  2. Marc-Antoine Legrand, fils, débuta en 1719, se retira du théâtre en 1758, et mourut le 20 janvier 1769.