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Césarion m’a fait un rapport exact de l’état de votre santé. J’ai consulté des médecins à ce sujet ; ils m’ont assuré, foi de médecins, que je n’avais rien à craindre pour vos jours ; mais, pour votre incommodité, qu’elle ne pouvait être radicalement guérie, parce que le mal était trop invétéré. Ils ont jugé que vous deviez avoir une obstruction dans les viscères du bas-ventre, que quelques ressorts se sont relâchés, que des flatuosités[1] ou une espèce de néphrétique sont la cause de vos incommodités. Voilà ce que, à plus de cent lieues, la faculté en a jugé. Malgré le peu de foi que j’ajoute à la décision de ces messieurs, plus incertaine souvent que celle des métaphysiciens, je vous prie cependant, et cela véritablement, de faire dresser le statum morbi de vos incommodités, afin de voir si peut-être quelque habile médecin ne pourrait vous soulager. Quelle joie serait la mienne de contribuer en quelque façon au rétablissement de votre santé ! Envoyez-moi donc, je vous prie, l’énumération de vos infirmités et de vos misères, en termes barbares et en langage baroque, et cela avec toute l’exactitude possible. Vous m’obligerez véritablement, ce sera un petit sacrifice que vous serez obligé de faire à mon amitié.

Vous m’avez accusé la réception de quelques-unes de mes pièces, et vous n’y ajoutez aucune critique. Ne croyez point que j’aie négligé celles que vous avez bien voulu faire de mes autres pièces. Je joins ici la correction nouvelle de l’ode sur l’Amour de Dieu, ajoutée à une pièce adressée à Césarion. La manie des vers me lutine sans cesse, et je crains que ce soit de ces maux auxquels il n’y a aucun remède.

Depuis que l’Apollon de Cirey veut bien éclairer les petits atomes de Remusberg, tout y cultive les arts et les sciences.

Voici une lettre d’un jeune homme qui est chez moi, à un de ses amis ; quelques mots de votre part sur son sujet l’encourageront infiniment ; c’est un génie qui se formera par la culture, et qui s’arrête, crainte de mal faire[2].

Je voudrais que vous eussiez eu besoin de mon ode sur la Patience, pour vous consoler des rigueurs d’une maîtresse, et non pour supporter vos infirmités. Il est facile de donner des consolations de ce qu’on ne souffre point soi-même ; mais c’est l’effort d’un génie supérieur que de triompher des maux les plus aigus, et d’écrire avec toute la liberté d’esprit, du sein même des souffrances.

Votre Épître sur l’Envie est inimitable. Je la préfère presque encore à ses deux jumelles. Vous parlez de l’envie comme un homme qui a senti le mal qu’elle peut faire, et des sentiments généreux comme de votre patrimoine. Je vous reconnais toujours aux grands sentiments. Vous les sentez si bien qu’il vous est facile de les exprimer.

Comment parler de mes pièces, après avoir parlé des vôtres ? Ce qu’il vous plaît d’en dire sent un tant soit peu l’ironie. Mes vers sont les

  1. Ou que des flegmes, des flatuosités, etc. (Œuvres posthumes.)
  2. Cet alinéa, omis dans l’édition de Kehl et dans l’édition Beuchot, est tiré Œuvres posthumes.