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rendent incapable ; mais qu’il savait assez de latin pour l’apprendre, au moins conjointement avec son fils ; qu’il lui apprendrait à penser, ce qui vaut mieux que du latin, et que je me chargeais de lui faire sentir la décence et les devoirs de son état.

C’est dans ces circonstances, mon tendre et judicieux ami, qu’il m’a demandé de faire entrer sa sœur dans la maison. Il est vrai que, depuis quelque temps, il se tient plus à sa place ; mais il n’a pas encore effacé ses péchés. J’ai ouï dire d’ailleurs que sa sœur était encore plus fière que lui. J’ai vu de ses lettres ; elle écrit comme une servante. Si avec cela elle pense en reine, je ne vois pas ce qu’on pourra faire d’elle.

Après toutes ces représentations, souffrez que je vous dise que vous êtes d’autant plus obligé d’avertir Linant d’être modeste, humble et serviable, que ce sont vos bontés qui l’ont gâté. Vous lui avez fait croire qu’il était né pour être un Corneille, et il a pensé que, pour avoir broché, à peine en trois ans, quatre malheureux actes d’un monstre qu’il appelait tragédie, il devait avoir la considération de l’auteur du Cid. Il s’est regardé comme un homme de lettres et comme un homme de bonne compagnie, égal à tout le monde. Vos louanges et vos amitiés ont été un poison doux qui lui a tourné la tête. Il m’a haï, parce que je lui ai parlé franc.. Méritez à votre tour qu’il vous haïsse, ou il est perdu. Je lui ai déjà dit qu’il était impertinent qu’il parlât de son cher et de son pauvre Cideville, et de Formont, à qui il a des obligations. Je lui ai fait sentir tous ses devoirs ; je lui ai dit qu’il faut savoir le latin, apprendre à écrire, et savoir l’orthographe, avant de faire une pièce de théâtre, et qu’il doit se regarder comme un homme qui a son esprit à cultiver et sa fortune à faire. Enfin, depuis quinze jours, il a pris des allures convenables. Le voilà en bon train ; encouragez-le à la persévérance ; un mot de votre main fera plus que tous mes avis.

En voilà beaucoup pour un malade : la tête me tourne ; j’enrage. Voilà quatre feuilles d’écrites sans vous avoir parlé de vous. Adieu ; mille amitiés au philosophe Formont et au tendre du Bourg-Theroulde.


565. — Á M. THIERIOT[1].
À Cirey, ce 22 février.

Je suis bien languissant, mon cher ami ; il faut que j’ordonne à mon cœur de n’être point bavard avec vous, cette poste-ci.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.