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Quant à l’argent que me devait ce pauvre M. de La Clède, je trouve dans mes papiers (car je suis un homme d’ordre, quoique poëte) que je lui avais prêté, par billet, trois cents livres, que le libraire Legras m’a rendues ; et, le lendemain, je lui prêtai cinquante écus sans billet. Si vous pouviez, en effet, faire payer ces cinquante écus, je prendrais la liberté de vous supplier très-instamment d’en acheter une petite bague d’antique, et de prier Mme  Berger de vouloir bien la porter au doigt pour l’amour de M. de La Clède et pour le mien. Ce M. Berger est un homme que j’aime et que j’estime infiniment, et je vous aurais bien de l’obligation si vous l’engagiez à me faire cette galanterie. C’est un des meilleurs juges que nous ayons en fait de beaux-arts.

Qu’est devenue la mascarade de Servandoni ? On dit qu’Alzire est de Lefranc[1].

Je suis trop languissant pour vous en dire davantage.


563. — Á M. L’ABBÉ LE BLANC[2].

Je n’ai reçu qu’hier, monsieur, le présent et la lettre dont vous m’avez honoré. J’ai lu avec beaucoup d’attention votre tragédie d’Abensaïd ; je trouve que c’est un tableau d’une ordonnance belle et hardie, et dont toutes les figures sont très-animées. Il me paraît que vous entendez parfaitement la conduite du théâtre, et je ne conçois pas comment les comédiens ont pu faire quelque difficulté.

Je suis aussi flatté de votre lettre, monsieur, que je suis content de votre pièce. La plupart des auteurs sont les ennemis de ceux qui courent la même carrière : ils se font des guerres honteuses qui déshonorent les talents. Il est bien triste de voir des gens de lettres perdre à se nuire, à se déchirer réciproquement, le temps qu’ils devraient employer à faire les délices et l’instruction des hommes ; et que ceux qui ont le plus d’esprit passent souvent leur vie à se rendre le jouet des sots. Je suis charmé, monsieur, que ce vice de l’envie, qui est le poison de la littérature, soit si loin d’infecter votre génie. Je trouve avec plaisir dans votre caractère les sentiments vertueux de votre ouvrage.

Nous avons partagé les Indes entre nous : votre muse est au Mogol, et la mienne au Pérou[3]. Rome et la Grèce semblent épui-

  1. Alzirette, parodie d’Alzire, est de Panard, Parmentier, Pontau, et. Marmoutier.
  2. Jean Le Blanc, né. à Dijon en 1707, mort en 1781.
  3. Dans Abensaïd, la scène est au Mogol ; dans Alzire, elle est au Pérou.