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Pour l’Égalité des conditions, je la crois aussi fermement que je crois qu’une âme comme la votre serait également bien partout. Votre devise est :

Nave ferar magna an parva, ferar unus et idem.

(Hor., lib. II, ep. ii. V, 200.)

Pour la Liberté, il y a un peu de chaos dans cette affaire. Voyons si les Clarke, les Locke, les Newton, me doivent éclairer ; ou si les Leibhitz, princes ou non, doivent être ma lumière On ne peut certainement rien de plus fort que tout ce que dit Votre Altesse royale pour prouver la nécessité absolue. Je vois d’abord que Votre Altesse royale est dans l’opinion de la raison suffisante de MM. Leibnitz et Wolff. C’est une idée très-belle, c’est-à-dire très-vraie : car, enfin, il n’y a rien qui n’ait sa cause, rien qui n’ait une raison de son existence. Cette idée exclut-elle la liberté de l’homme ?

1° Qu’entends-je par liberté ? Le pouvoir de penser, et d’opérer des mouvements en conséquence ; pouvoir très-borné, comme toutes mes facultés.

2° Est-ce moi qui pense et qui opère des mouvements ? Est-ce un autre qui fait tout cela pour moi ? Si c’est moi, je suis libre : car être libre, c’est agir. Ce qui est passif n’est point libre. Est-ce un autre qui agit pour moi ? je suis trompé par cet autre, quand je crois être agent.

3° Quel est cet autre qui me tromperait ? Ou il y a un Dieu, ou non. S’il est un Dieu, c’est lui qui me trompe continuellement. C’est l’Être infiniment sage, infiniment conséquent, qui, sans raison suffisante, s’occupe éternellement d’erreurs opposées directement à son essence, qui est la vérité.

S’il n’y a point de Dieu, qui est-ce qui me trompe ? Est-ce la matière, qui d’elle-même n’a pas d’intelligence ?

4° Pour nous prouver, malgré ce sentiment intérieur, malgré ce témoignage que nous nous rendons de notre liberté ; pour nous prouver, dis-je, que cette liberté n’existe pas, il faut nécessairement prouver qu’elle est impossible. Cela me paraît incontestable. Voyons comme elle serait impossible.

5° Cette liberté ne peut être impossible que de deux façons : ou parce qu’il n’y a aucun être qui puisse la donner, ou parce qu’elle est en elle-même une contradiction dans les termes, comme un carré plus long que large est une contradiction. Or l’idée de la liberté de l’homme ne portant rien en soi de contradictoire, reste à voir si l’Être infini et créateur est libre ; et si,