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listins et aux Israélites, etc., ait fait ses psaumes ; mais il est sûr que l’héritier de la monarchie de Prusse fait de très-beaux vers français.

Si j’osais éplucher cette épître (et il le faut bien, car je vous dois la vérité), je vous dirais, monseigneur, que trompette[1] ne rime point à tête, parce que tête est long, et que pette est bref, et que la rime est pour l’oreille et non pour les yeux. Défaites, par la même raison, ne rime point avec conquête : quête est long, faites est bref. Si quelqu’un voyait mes lettres il dirait : Voilà un franc pédant qui s’en va parler de brèves et de longues à un prince plein de génie. Mais le prince daigne descendre à tout. Quand ce prince fait la revue de son régiment, il examine le fourniment du soldat. Le grand homme ne néglige rien : il gagnera des batailles dans l’occasion ; il signera le bonheur de ses sujets de la même main dont il rime des vérités.

Venons à l’ode[2] ; elle est infiniment supérieure à ce qu’elle était, et je ne saurais revenir de ma surprise qu’on fasse si bien des odes françaises au fond de l’Allemagne. Nous n’avons qu’un exemple d’un Français qui faisait très-bien des vers italiens, c’était l’abbé Régnier ; mais il avait été longtemps en Italie ; et vous, mon prince, vous n’avez point vu la France.

Voici encore quelques petites fautes de langage. Je n’eus point reçu l’existence, il faut dire je n’eusse ; et la sagesse avait pourvue, il faut dire pourvu. Jamais un verbe ne prend cette terminaison que quand son participe est considéré comme adjectif. Voici qui est encore bien pédant ; mais j’en ai déjà demandé pardon, et vous voulez savoir parfaitement une langue à qui vous faites tant d’honneur. Par exemple, on dira la personne que vous avez aimée, parce que aimée est comme un adjectif de la personne. On dira la sagesse dont votre âme est pourvue, par la même raison ; mais on doit dire : Dieu a pourvu à former un prince qui, etc.

Ta clémence infinie,
Dans aucun sens ne se dénie.

Dénie ne peut pas être employé pour dire se dément ; le mot de dénier ne peut être mis que pour nier ou refuser.

  1. Voyez la fin de la lettre du 19 février 1738, qui est la réponse à celle-ci.
  2. C’est celle qui commence par ce vers :
    Toi dont la sagesse adorable.

    Elle se trouve à la suite de la lettre à Suhm du 16 novembre 1737. (B.)