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cution, afin que, sachant leur nombre et en quoi consistent leurs talents, je puisse vous envoyer des pieces propre à leur usage. Je vous enverrais la Lecouvreur en Cantate :

… Quoi ! ces lèvres charmantes[1], etc. ;

mais je crains de réveiller en vous le souvenir d’un bonheur qui n’est plus. Il faut, au contraire, arracher l’esprit de dessus des objets lugubres. Notre vie est trop courte pour nous abandonner au chagrin ; à peine avons-nous le temps de nous réjouir ; aussi ne vous enverrai-je que de la musique joyeuse.

L’indiscret Thieriot a trompeté[2] dans les quatre parties du monde que j’avais adressé une lettre en vers à Mme de la Popelinière. Si ces vers avaient de passables, ma vanité n’aurait pas manqué de vous en importuner au plus vite ; mais la vérité est qu’ils ne valent rien. Je me suis bien repenti de leur avoir fait voir le jour.

Je voudrais bien pouvoir vivre dans un climat tempéré. Je voudrais bien pouvoir mériter d’avoir des amis tels que vous, d’être estimé des gens de bien ; je renoncerais volontiers à ce qui fait l’objet principal de la cupidité et de l’ambition des hommes, mais je sens trop que, si je n’étais pas prince, je serais peu de chose. Votre mérite vous suffit pour être estimé, pour être envié, et pour vous attirer des admirations. Pour moi, il me faut des titres, des armoiries, et des revenus, pour attirer sur moi les regards des hommes.

Ah ! mon cher ami, que vous avez raison d’être satisfait de votre sort ! Un grand prince, étant au moment de tomber entre les mains de ses ennemis, vit ses courtisans en pleurs, et qui se désespéraient autour de lui ; il dit ce peu de paroles qui enferment un grand sens : Je sens à vos lârmes que je suis encore roi[3].

Que ne vous dois-je point de reconnaissance pour toutes les peines que je vous coûte ! Vous m’instruisez sans cesse, vous ne vous lassez point de me donner des préceptes. En vérité, monsieur, je serais bien ingrat si je ne sentais pas tout ce que vous faites pour moi. Je m’appliquerai à présent à mettre en pratique toutes les règles que vous avez bien voulu me donner, et je vous prieiai encore de ne vous point lasser à force de me corriger.

J’ai cherché plus d’une fois pourquoi les Français, si amateurs des nouveautés, ressuscitaient de nos jours le langage antique de Marot. Il est certain que la langue française n’était pas, à beaucoup près, aussi polie qu’elle l’est à présent. Quel plaisir une oreille bien née peut-elle trouver à des sons rudes comme le sont ceux de ces vieux mots oncques, prou, la chose publique, accoutrements, etc., etc. ?

Un trouverait étrange, à Paris, si quelqu’un y paraissait vêtu comme du temps de Henri IV, quoique cet habillement put être tout aussi bon que le

  1. Voyez, tome IX, la pièce intitulée la Mort de, Mlle Lecouvreur.
  2. L’indiscrétion de Thieriot lui valut le surnom de Thieriot Trompette. (Cl.)
  3. Frédéric rappelle probablement les paroles que Darius, vaincu et poursuivi par Alexandre, adressa à ses amis : Fides vestra et constantia, ut regem me esse credam, facit.(Quinte-Curce, livre V, ch. viii.)