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lira qu’Alexandre VI s’est soutenu par la fourberie, et a empoisonné ses ennemis ?

Plût à Dieu que nous ne connussions des princes que le bien qu’ils ont fait ! L’univers serait heureusement trompé, et peut-être nul prince n’oserait donner l’exemple d’être méchant et tyrannique.

Je serai probablement obligé de parler de l’impératrice Marthe, nommée depuis Catherine, et du malheureux fils de ce féroce législateur. Oserai-je supplier Votre Altesse royale de me procurer quelque connaissance sur la vie de cette femme singulière, sur les mœurs et sur le genre de mort du czarovitz ? J’ai bien peur que cette mort ne ternisse la gloire du czar. J’ignore si la nature a défait un grand homme d’un fils qui ne l’eût pas imité, ou si le père s’est souillé d’un crime horrible.

Infelix, utcumque ferent ea fata nepotes !

(Æneid., lib. VI, v. 822.)

Votre Altesse royale aura-t-elle la bonté de joindre ces éclaircissements à ceux[1] dont elle m’a déjà honoré ? Votre destin est de me protéger et de m’instruire, etc.


815. — DE FRÉDÉRIC, PRINCE ROYAL DE PRUSSE.
Potsdam, 19 janvier[2].

Monsieur, j’espère que vous avez reçu à présent les mémoires sur le gouvernement du czar Pierre, et les vers que je vous ai adressés. Je me suis servi de la voie d’un capitaine de mon régiment, nommé Plötz, qui est à Lunéville, et qui, apparemment, n’aura pas pu vous les remettre plus tôt à cause de quelques absences, ou bien faute d’avoir trouvé une bonne occasion.

Je sais que je ne risque rien en vous confiant des pièces secrètes et curieuses. Votre discrétion et votre prudence me rassurent sur tout ce que j’aurais à craindre. Si je vous ai averti de l’usage que vous devez faire de ces mémoires sur la Moscovie, mon intention n’a été que de vous faire connaître la nécessité où l’on est d’employer quelques ménagements en traitant des matières de cette délicatesse. La plupart des princes ont une passion singulière pour les arbres généalogiques ; c’est une espèce d’amour-propre qui remonte jusqu’aux ancêtres les plus reculés, qui les intéresse à la réputation non-seulement de leurs parents en droite ligne, mais encore de leurs

  1. Frédéric recevait ces éclaircissements de Suhm : voyez une note sur la lettre 705.
  2. Le 26 janvier 1738. (Variante des Œuvres posthumes.)