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poliliques[1], mais corrupteurs politiques d’un prince efféminé. Je ne dirai point :

Tel, et moins généreux, aux rivages d’Épire[2],
Lorsque de l’univers il disputait l’empire,
Confiant sur les eaux, aux aquilons mutins,
Le destin de la terre et celui des Romains,
Défiant à la fois et Pompée et Neptune,
César à la tempête opposait sa fortune.

Ce César à la sixième ligne est un tour purement poétique, et en prose je commencerais par César.

Les mots uniquement réservés pour la poésie, j’entends la poésie noble, sont en petit nombre ; par exemple, on ne dira pas en prose coursiers pour chevaux, diadème pour couronne, empire de France pour royaume de France, char pour carrosse, forfaits pour crimes, exploits pour actions, l’empyrèe pour le ciel, les airs pour l’air, fastes pour registre, naguère pour depuis peu, etc.

À l’égard du style familier, ce sont à peu près les mêmes termes qu’on emploie en prose et en vers. Mais j’oserais dire que je n’aime point cette liberté qu’on se donne souvent, de mêler dans un ouvrage qui doit être uniforme, dans une épître, dans une satire, non-seulement les styles différents, mais encore des langues différentes ; par exemple celle de Marot[3] et celle de nos jours. Cette bigarrure me déplaît autant que ferait un tableau où l’on mêlerait des figures de Callot et les charges de Téniers avec des figures de Raphaël. Il me semble que ce mélange gâte la langue, et n’est propre qu’à jeter tous les étrangers dans l’erreur.

D’ailleurs, monseigneur, l’usage et la lecture des bons auteurs en a beaucoup plus appris à Votre Altesse royale que mes réflexions ne pourraient lui en dire.

Quant à la Métaphysique de M. Wolff, il me paraît presque en tout dans les principes de Leibnitz. Je les regarde tous deux comme de très-grands philosophes ; mais ils étaient des hommes, donc ils étaient sujets à se tromper. Tel qui remarque leurs fautes est bien loin de les valoir : car un soldat peut très-bien critiquer son général sans pour cela être capable de commander un bataillon.

  1. Heriade, ch. I, v 37.
  2. Ibid., ch. I. v. 177.
  3. Allusion à l’abus que J.-B. Rousscau faisait alors du langage marotique. dans ses épîtres satiriques.