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En lisant aujourd’hui des vers anglais de Pope, sur le bonheur[1], voici comme j’ai réfuté ce raisonneur :

Pope, l’Anglais, ce sage si vanté,
Dans sa morale au Parnasse embellie,
Dit que les biens, les seuls biens de la vie.
Sont le repos, l’aisance, et la santé.
Il s’est mépris : quoi ! dans l’heureux partage
Des dons du ciel faits à l’humain séjour.
Ce triste Anglais n’a pas compté l’amour !
Que je le plains ! il n’est heureux ni sage[2].

Mettez l’amitié à la place de l’amour, et vous verrez combien vous manquez à ma félicité. Donnez-moi au moins votre protection, comme si j’étais né dans Moulins. Ayez pitié de cette pauvre Alzire, que l’on imprime, à ce qu’on m’a dit, furtivement, comme on a imprimé le Jules César. Il est bien dur de voir ainsi ses enfants estropiés. M. Rouillé[3] peut, d’un mot, empêcher qu’on me fasse ce tort : c’est à vous que je veux en avoir l’obligation. Si vous me rendez ce bon office, j’aurai pour vous bien du respect et de la reconnaissance ; et, si vous m’écrivez, je vous aimerai de tout mon cœur.


558. — Á M. PRAULT[4].
À Cirey, ce 9 février 1736.

Les prières de M. d’Argental, monsieur, seront toujours des ordres pour moi, et la réputation de probité et d’intelligence que vous avez n’est pas une moindre recommandation. Je serai charmé que ceux qui feront imprimer Alzire vous donnent la préférence.

À l’égard du recueil de mes tragédies, il faut que je passe beaucoup de temps à les corriger, avant d’oser les donner au public. L’intérêt d’un libraire doit être qu’un auteur travaille soigneusement ses ouvrages. Je ne peux vous être utile qu’en tâchant de mériter par un travail long et assidu l’indulgence du public.

Je suis, monsieur, de tout mon cœur votre très-humble et très-obéissant serviteur.

  1. C’est le sujet de la quatrième épître de l’Essai sur l’Homme.
  2. Ces vers se trouvent déjà tome X, page 512.
  3. Voyez la lettre 297.
  4. Éditeurs, de Cayrol et François.