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pas capable de détruire cette liberté : car la prescience de Dieu n’est pas la cause de l’existence des choses, mais elle est elle-même fondée sur leur existence. Tout ce qui existe aujourd’hui ne peut pas ne point exister pendant qu’il existe ; et il était hier et de toute éternité aussi certainement vrai que les choses qui existent aujourd’hui devaient exister, qu’il est maintenant certain que ces choses existent.

2° La simple prescience d’une action, avant qu’elle soit faite, ne diffère en rien de la connaissance qu’on en a après qu’elle est faite. Ainsi la prescience ne change rien à la certitude d’événement. Car, supposé pour un moment que l’homme soit libre, et que ses actions ne puissent être prévues, n’y aura-t-il pas, malgré cela, la même certitude d’événement dans la nature des choses ; et malgré la liberté, n’y a-t-il pas eu hier et de toute éternité une aussi grande certitude que je ferais une telle action aujourd’hui qu’il y en a actuellement que je fais cette action ? Ainsi, quelque difficulté qu’il y ait à concevoir la manière dont la prescience de Dieu s’accorde avec notre liberté, comme cette prescience ne renferme qu’une certitude d’événement qui se trouverait toujours dans les choses, quand même elles ne seraient pas prévues, il est évident qu’elle ne renferme aucune nécessité, et qu’elle ne détruit point la possibilité de la liberté.

La prescience de Dieu est précisément la même chose que sa connaissance. Ainsi, de même que sa connaissance n’influe en rien sur les choses qui sont actuellement, de même sa prescience n’a aucune influence sur celles qui sont à venir ; et si la liberté est possible d’ailleurs, le pouvoir qu’a Dieu de juger infailliblement des événements libres ne peut les faire devenir nécessaires, puisqu’il faudrait, pour cela, qu’une action pût être libre et nécessaire en même temps.

3° Il ne nous est pas possible, à la vérité, de concevoir comment Dieu peut prévoir les choses futures, à moins de supposer une chaîne de causes nécessaires : car de dire, avec les scolastiques, que tout est présent à Dieu, non pas, à la vérité, dans sa propre mesure, mais dans une autre mesure, non in mensura propria, sed in mensura aliena, ce serait mêler du comique à la question la plus importante que les hommes puissent agiter. Il vaut beaucoup mieux avouer que les difficultés que nous trouvons à concilier la prescience de Dieu avec notre liberté viennent de notre ignorance sur les attributs de Dieu, et non pas de l’impossibilité absolue qu’il y a entre la prescience de Dieu et notre liberté : car l’accord de la prescience avec notre liberté n’est pas