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ce n’est point une action, mais une simple passion : car ce n’est en effet que sentir ce que nous sentons, et voir ce que nous voyons, et il n’y a aucune liaison entre l’approbation et l’action, entre ce qui est passif et ce qui est actif.

3° Les différences des choses déterminent, dit-on, notre entendement. Mais on ne considère pas que la liberté d’indifférence, avant le dictamen[1] de l’entendement, est une véritable contradiction dans les choses qui ont des différences réelles entre elles : car, selon cette belle définition de la liberté, les idiots, les imbéciles, les animaux même, seraient plus libres que nous ; et nous le serions d’autant plus que nous aurions moins d’idées, que nous apercevrions moins les différences des choses, c’est-à-dire à proportion que nous serions plus imbéciles ; ce qui est absurde. Si c’est cette liberté qui nous manque, je ne vois pas que nous ayons beaucoup à nous plaindre. La liberté d’indifférence, dans les choses discernables, n’est donc pas réellement une liberté.

À l’égard du pouvoir de choisir entre des choses parfaitement semblables, comme nous n’en connaissons point, il est difficile de pouvoir dire ce qui nous arriverait alors. Je ne sais même si ce pouvoir serait une perfection ; mais ce qui est bien certain, c’est que le pouvoir soi-mouvant, seule et véritable source de la liberté, ne pourrait être détruit par l’indiscernabilité de deux objets : or, tant que l’homme aura ce pouvoir soi-mouvant, l’homme sera libre.

4° Quant à ce que notre volonté est toujours déterminée par ce que notre entendement juge le meilleur, je réponds : La volonté, c’est-à-dire la dernière perception ou approbation de l’entendement, car c’est là le sens de ce mot dans l’objection dont il s’agit ; la volonté, dis-je, ne peut avoir aucune influence sur le pouvoir soi-mouvant en quoi consiste la liberté. Ainsi la volonté n’est jamais la cause de nos actions, quoiqu’elle en soit l’occasion : car une notion abstraite ne peut avoir aucune influence physique sur le pouvoir physique soi-mouvant qui réside dans l’homme ; et ce pouvoir est exactement le même avant et après le dernier jugement de l’entendement.

Il est vrai qu’il y aurait une contradiction dans les termes, moralement parlant, qu’un être qu’on suppose sage fasse une folie, et que, par conséquent, il préférera sûrement ce que son entendement jugera être le meilleur ; mais il n’y aurait à cela aucune contradiction physique, car la nécessité physique et la

  1. Voyez tome XXII, page 413.