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555. — Á M. THIEROT.
Cirey, le 6 février.

Vous m’avez écrit, non une lettre, mais un livre plein d’esprit et de raison. Faut-il que je n’y réponde que par une courte lettre qu’un peu de maladie m’empêche encore d’écrire de ma main ? Si vous voyez MM. de pont-de-veyle et d’Argental, dont les bontés me sont si chères, dites-leur que c’est moi qui ai perdu ma mère[1]. Ce premier devoir rendu, dites bien à Pollion que les louanges du public sont, après les siennes, ce qu’il y a de plus flatteur. J’ai lu l’épître charmante de mon saint Bernard. Je n’ai encore ni le temps ni la santé de lui répondre. Il a fallu écrire vingt lettres par jour, retoucher les Américains, corriger Samson, raccommoder l’Indiscret. Ce sont des plaisirs, mais le nombre accable et épuise. Le plus grand de tous a été de faire l’Épître dédicatoire à Mme  la marquise du Châtelet, et un discours[2] que je vous adresserai à la fin de la tragédie.

Je vous envoie la dédicace, l’autre discours n’est pas encore fini. Dites-moi d’abord votre avis sur cette dédicace de mon Temple ; elle n’est pas digne de la déesse. C’était à Locke à lui dédier l’Entendement humain, et je dis bien : « Domina, non sum dignus, sed tantum die verbo[3] »

Après avoir eu la permission de M. et deMme  du Châtelet de leur rendre cet hommage, il faut encore que le public le trouve bon. Examinez donc ce petit écrit scrupuleusement ; pesez-en les paroles. J’ose supplier M. de La Popelinière de se joindre à vous, et de vouloir bien me donner ses avis. Si vous me dites tous deux que la chose réussira, je ne craindrai plus rien. J’envoie aujourd’hui aux comédiens les corrections de l’Indiscret ; je les prie, en même temps, de souffrir, pour le plaisir du public et pour leur avantage, que le public voie Mlle  Dangeville en culotte.

Je leur envoie aussi quelques changements pour le quatrième acte d’Alzire ; vous en trouverez ici la copie ; ils me paraissent nécessaires : ce sont des charbons que je jette sur un feu languis-

  1. Mme  de Férriol, née. Marie-Angélique Guérin de Tencin, sœur du cardinal, et mère de Pont-de-Veyle et de d’Argental, venait de mourir le 2 février 1736.
  2. Ce discours, qui devait être à la fin de la tragédie, et que, dans sa lettre 578, Voltaire appelle post-face, a été imprimé, dès 1736, en tête l’AIzire. Voltaire en parle dans plusieurs autres lettres, et le désigne sous le titre d’Apologétique de Terlullien, ou simplement sous celui d’Apologétique.
  3. Matthieu, viii, 8.