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celui de Zamore, joué par Dufresne. Tâchez de persuader cela à cette tête à doubles croches ; que son intérêt et sa gloire l’encouragent ; qu’il me promette d’être entièrement de concert avec moi ; surtout qu’il n’use pas sa musique en la faisant jouer de maison en maison ; qu’il orne de beautés nouvelles les morceaux que je lui ai faits. Je lui enverrai la pièce quand il le voudra ; M. de Fontenelle en sera l’examinateur. Je me flatte que M. le prince de Carignan[1] la protégera, et qu’enfin ce sera de tous les ouvrages de ce grand musicien celui qui, sans contredit, lui fera ie plus d’honneur.

À l’égard de M. de Marivaux, je serais très-fâché de compter parmi mes ennemis un homme de son caractère, et dont j’estime l’esprit et la probité. Il y a surtout dans ses ouvrages un caractère de philosophie, d’humanité et d’indépendance, dans lequel j’ai trouvé avec plaisir mes propres sentiments. Il est vrai que je lui souhaite quelquefois un style moins recherché, et des sujets plus nobles ; mais je suis bien loin de l’avoir voulu désigner, en parlant des comédies métaphysiques. Je n’entends par ce terme que ces comédies où l’on introduit des personnages qui ne sont point dans la nature, des personnages allégoriques, propres, tout au plus, pour le poème épique, mais très-déplacés sur la scène, où tout doit être peint d’après nature. Ce n’est pas, ce me semble, le défaut de M. de. Marivaux ; je lui reprocherais, au contraire, de trop détailler les passions, et de manquer quelquefois le chemin du cœur, en prenant des routes un peu trop détournées. J’aime d’autant plus son esprit que je le prierais de le moins prodiguer. Il ne faut point qu’un personnage de comédie songe à être spirituel ; il faut qu’il soit plaisant malgré lui, et sans croire l’être : c’est la différence qui doit être entre la comédie et le simple dialogue. Voilà mon avis, mon cher monsieur, je le soumets au vôtre.

J’avais prêté quelque argent à feu M. de La Clède, mais sans billet ; je voudrais en avoir perdu dix fois davantage, et qu’il fût en vie. Je vous supplie de m’écrire tout ce que vous apprendrez au sujet de mes Américains. Je vous embrasse tendrement.

Qu’est devenu l’abbé Desfontaines ? Dans quelle loge a-t-on mis ce chien qui mordait ses maîtres ? Hélas ! je lui donnerais encore du pain, tout enragé qu’il est. Je ne vous écris point de ma main, parce que je suis un peu malade. Adieu.

  1. Voyez la lettre 403.