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Nos belles-lettres commencent à bien dégénérer, soit qu’elles manquent d’encouragement, soit que les Français, après avoir trouvé le bien dans le siècle de Louis XIV, aient aujourd’hui le malheur de chercher le mieux ; soit qu’en tout pays la nature se repose après de grands efforts, comme les terres après une moisson abondante.

La partie de la philosophie la plus utile aux hommes, celle qui regarde l’âme, ne vaudra jamais rien parmi nous tant qu’on ne pourra pas penser librement. Un certain nombre de gens superstitieux fait grand tort ici à toute vérité. Si Cicéron vivait, et qu’il écrivît de Natura deorum, ou ses Tusculanes ; si Virgile disait :

Félix qui potuit rerum cognoscere causas,
Atque metus omnes et inexorabile fatum
Subjecit pedibus, strepitumque Acherontis avari !

(Georg., II, v. 490-2.)

Cicéron et Virgile courraient grand risque. Il n’y a que les jésuites à qui il est permis de tout dire[1] ; et si Votre Altesse royale a lu ce qu’ils disent, je doute qu’elle leur lasse le même honneur qu’à M. Hollin[2]. Pour bien écrire l’histoire, il faut être dans un pays libre ; mais la plupart des Français, réfugiés en Hollande ou en Angleterre, ont altéré la pureté de leur langue. À l’égard de nos universités, elles n’ont guère d’autre mérite que celui de leur antiquité. Les Français n’ont point de Wolff, point de Mac-Laurin, point de Manfredi, point de S’Gravesande, ni de Musschenbroeck. Nos professeurs de physique, pour la plupart, ne sont pas dignes d’étudier sous ceux que je viens de citer. L’Académie des sciences soutient très-bien l’honneur de la nation, mais c’est une lumière qui ne se répand pas encore assez généralement ; chaque académicien se borne à des vues particulières. Nous n’avons ni bonne physique, ni bons principes d’astronomie pour instruire la jeunesse ; et nous sommes obligés, en cela, d’avoir recours aux étrangers.

L’Opéra se soutient, parce qu’on aime la musique ; et malheureusement cette musique ne saurait être, comme l’italienne, du goût des autres nations. La comédie tombe absolument. À propos de comédie, je suis très-mortifié, monseigneur, qu’on ait

  1. Voyez la lettre au marquis d’Argens, n° 760.
  2. Au commencement de 1737, Frédéric avait chargré Thieriot, son correspondant, d’aller faire une visite à Rollin pour le remercier du plaisir que la lecture des ouvrages de ce dernier avait procuré au prince. (B.)