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meilleur ; mais il faudra absolument retrancher beaucoup d’une très-longue scène du valet de l’indiscret et de Julie[1]. Cette scène est injouable, telle qu’elle est. Je ne vous ferai point aujourd’hui de dissertation sur l’opéra, parce que

Pluribus attentus, minor est ad singula sensus.

Vous pouvez me confier ce secret de plaire aux grands. Je l’embrasserai avec l’avidité d’un homme qui souhaite passionnément de rester dans un pays habité par Émilie et par vous. Dites-moi ce que c’est que ces deux lettres. Comptez que je n’abuserai pas de votre confiance. Vous pouvez hardiment tout dire à un homme qui se tairait dans Paris, et qui n’a personne avec qui bavarder ici. Encore un coup, confiez-moi hardiment un secret qui m’est important, à moins que vous ne me preniez pour le héros de la pièce[2] qu′a demandée la reine. J’ai lu les lettres de Pope[3] ; « sed plura at another time. I am yours for ever, and more vour friend than ever. »

550. — Á M. THIERIOT.
À Cirey, le 25 janvier.

Nous avons joué notre tragédie, mon charmant ami, et nous n’avons point été sifflés. Dieu veuille que le parterre de Paris soit aussi indulgent que celui de nos bons Champenois ! Je suis bien fâché, pour l’honneur des belles-lettres, que Lefranc fasse de si mauvaises manœuvres pour m’accabler. En sera-t-il plus haut quand je serai plus bas ? Forcer Mlle Dufresne[4] à ne point jouer dans ma pièce, c’est ôter le maréchal de Villars au roi, dans la campagne de Denain. Le rôle était fait pour elle, comme Zaïre était taillée sur la gentille Gaussin. Mon cher Thieriot, vous connaissez mon cœur ; je voudrais réussir sans que Lefranc tombât. J’aime tant les beaux-arts que je m’intéresserais même au succès de mes rivaux. La lettre que j’ai écrite aux comédiens n’était point ironique. Le ton modeste doit être le mien, et celui de tout homme qui se livre au public. J’ose croire que ce même

  1. Il est question de Julie dans les scènes ii et xiii de l’Indiscret : mais ce nom n’est pas au nombre des porsonnages. La scène xi entre Hortense, Nèrine et Pasquin, n’a que douze vers dans toutes les éditions. (B.)
  2. L’Indiscret.
  3. L′Essai sur l’Homme, par Pope, est divisé en quatre épitres.
  4. Les comédiennes mariées n’étaient jamais appelées madame ; mademoiselle Dufresne désigne ici Mme Dufresne (R.)