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Mais tout a un commencement. Quand les Romains n’étaient que des paysans, ils avaient du foin pour enseignes ; quand ils furent populum late regem[1] ils eurent des aigles d’or.

Ovide, dans ses Fastes, dit expressément des anciens Romains :

Non illi eœlo labentia signa movebant,
Sed sua, quæ magnum perdere crimen erat ;

(Liv. III, v. 113-14.)

antithèse assez ridicule de dire : « Ils ne connaissaient point les signes célestes, ils ne connaissaient que les signes de leurs armées. » Il continue, et dit, en parlant de ces enseignes :

Illaque de fœno ; sed erat reverentia fœno,
Quantam nunc aquilas cernis habere tuas.
Pertica suspensos portabet longa maniplos :
Unde maniplaris nomina miles habet.

(Liv. III, v. 115-18.)

Voilà mes bottes de foin bien constatées. À l’égard des premiers temps de leur histoire, je m’en rapporte à Votre Altesse royale comme sur tous les premiers temps. Que pensez-vous de Rémus et de Romulus, fils du dieu Mars ? de la louve ? du pivert ? de la tête d’homme toute fraîche, qui fit bâtir le Capitole ? des dieux de Lavinium, qui revenaient à pied d’Albe à Lavinium ? de Castor et de Pollux combattant au lac de Négillo ? d’Attilius Nævius, qui coupait des pierres avec un rasoir ? de la vestale qui tirait un vaisseau avec sa ceinture ? du palladium ? des boucliers tombés du ciel ? enfin de Mutius Scévola, de Lucrèce, des Horaces, de Curtius ? histoires non moins chimériques que les miracles dont je viens de parler. Monseigneur, il faut mettre tout cela dans la salle d’Odin, avec notre sainte ampoule, la chemise de la vierge, le sacré prépuce, et les livres de nos moines.

J’apprends que Votre Altesse royale vient de faire rendre justice à M. Wolff. Vous immortalisez votre nom ; vous le rendez cher à tous les siècles en protégeant le philosophe éclairé contre le théologien absurde et intrigant. Continuez, grand prince, grand homme ; abattez le monstre de la superstition et du fanatisme, ce véritable ennemi de la Divinité et de la raison. Soyez le roi des philosophes ; les autres princes ne sont que les rois des hommes.

Je remercie tous les jours le ciel de ce que vous existez.

  1. Ænid., lib. I, v. 25.