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fiera tout au petit mérite de conter des nouvelles aux supérieurs qui l´emploient. Cela dit, j’enverrai à Vesel le pa<uet <ue j´ose adresser à Votre Altesse royale ; mais permettez encore que je vous répète, comme Lucrèce à Memmius :

Tantum relligio potuit suadere malorum !

(L. I.)

Ce vers doit être la devise de l’ouvrage. Vous êtes le seul prince sur la terre à qui j’osasse l’envoyer. Regardez-moi, monseigneur, comme le plus attaché que vous ayez : car je n’ai point, et ne veux avoir d’autre maître. Après cela, décidez.

Je pars incessamment de Hollande malgré moi ; l’amitié me rappelle à Cirey : on est venu me relancer ici. Le plus grand prince de la terre est devenu mon confident. Si donc Votre Altesse royale a quelques ordres à me donner, je la supplie de les adresser sous le couvert de M. Dubreuil[1], à Amsterdam ; il me les fera tenir. Ils arriveront tard ; aussi, dans mes complaintes de la Providence, il y aura un grand article sur l’injustice extrême de n’avoir pas mis Cirey en Prusse. Je suis avec la vénération la plus tendre, permettez-moi ce mot, monseigneur, etc.


725. — À MADAME DE CHAMPBONIN.
D’Amsterdam, février.

Rien ne peut me surprendre d’un cœur tel que le vôtre. Ce procédé-ci m’étonnerait de tout autre. Il n’y a plus de malheur pour moi que celui de n’avoir point d’ailes ; j’arrange tout ; je mets ordre à tout, pour partir.

Je fais en un jour ce que j’aurais fait en quinze. Je me tue pour aller vivre dans le sein de l’amitié ; mais, malgré toutes mes diligences, je ne pourrai partir que vers le 16 ou le 17. J’en suis au désespoir ; mais figurez-vous que j’avais commencé une besogne[2] où j’employais sept ou huit personnes par jour ; que j’étais seul à les conduire ; qu’il faut leur laisser des instructions aisées, et apaiser une famille qui s’imagine perdre sa fortune par mon absence. Enfin je suis assez malheureux pour ne partir que le 16. Soyez bien sûre, tendre et charmante amie, que je ne reviendrais pas si des rois[3] me demandaient ; mais

  1. Dubreuil-Tronchin, cité dans les lettres 753, 780 et 798.
  2. L’impression des Éléments de la Philosophie de Newton : voyez l’avertissement de Beuchot, tome XXII, page 397.
  3. Frédéric, alors prince royal, engageait Voltaire à se rendre à Remusberg.