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d’un objet que parce que les parties d’un objet frapperaient notre cerveau ; or rien n’est plus faux.

1° J’ai l’idée d’une sphère, quoiqu’il ne vienne à mes yeux que quelques rayons de la moitié de cette sphère ; j’ai le sentiment de la douleur, qui n’a aucun rapport à un morceau de fer entrant dans ma chair ; j’ai l’idée du plaisir, qui n’a rien d’analogue à quelque liqueur passant dans mon corps, ou en sortant : donc les idées ne peuvent être la suite nécessaire d’un corps qui en frappe un autre ; donc c’est Dieu qui me donne les idées, les sentiments, selon les lois par lui arbitrairement établies ; donc la difficulté résultant de ce que la partie A de mon cerveau ne recevrait qu’une partie A de l’objet est une difficulté que l’on appelle ex falso suppositum, et n’est point difficulté.

2° Il serait encore faux de dire que toutes les parties d’un objet ne pussent se réunir en un point dans mon cerveau : car toutes les lignes peuvent aboutir dans une circonférence à un point seul qui est le centre.

On fait encore une difficulté éblouissante. La voici : « Si Dieu a accordé le don de penser à une partie de mon cerveau, cette partie est divisible. On en retranche la moitié, on en retranche le quart, on en retranche mille, cent mille particules : à laquelle de ces particules appartiendra la pensée ? »

Je réponds à cela deux choses : 1° il est possible au Créateur de conserver dans mon cerveau une partie immuable, et de la préserver du changement continuel qui arrive à toutes les parties de mon corps ; 2° il est démontré qu’il y a dans la matière des parties solides indivisibles ; en voici la démonstration.

Des pores du corps augmentent en proportion doublée de la division de ce corps : donc si vous divisez à l’infini vous aurez une série dont le dernier terme sera l’infini pour les pores, et l’autre terme zéroo pour la matière, ce qui est absurde ; donc il y a des parties solides et indivisibles ; donc si Dieu accorde la pensée à quelqu’une de ces parties, il n’y a point à craindre que le don de penser ne se divise, ni rien à objecter contre ce pouvoir que l’Être suprême a de donner la pensée à un corps.

Remarquez, en passant, que cette démonstration de la nécessité qu’il y ait des parties parfaitement solides ne combat point la démonstration de la matière divisible à l’infini en géométrie. Car, en géométrie, nous ne considérons que les objets de nos pensées : or il est démontré que notre pensée fera passer dans l’espace infiniment petit du point de contingence d’un cercle et d’une tangente une infinité d’autres cercles ; mais physiquement