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amitié pour moi. Elle est très-exacte et fidèle. Il en aurait châtié le style si des affaires indispensables ne l’avaient arraché de chez moi. J’ai pris soin de marquer les endroits principaux. Je me flatte que cet ouvrage aura votre approbation : vous avez l’esprit trop juste pour ne le pas goûter.

La proposition de l´être simple, qui est une espèce d’atome, ou des monades dont parle Leibnitz, vous paraîtra peut-être un peu obscure. Pour la bien comprendre, il faut faire attention aux définitions que l’auteur fait auparavant de l’espace, de l’étendue, des limites, et de la figure.

Le grand ordre de cet ouvrage, et la connexion intime qui lie toutes les propositions les unes avec les autres, est, à mon avis, ce qu’il y a de plus admirable dans ce livre. La manière de raisonner de l’auteur est applicable à toutes sortes de sujets. Elle peut être d’un grand usage à un politique qui sait s’en servir. J’ose même dire qu’elle est applicable à tous les sujets de la vie privée. La lecture des ouvrages de M. Wolff, bien loin de m’offusquer les yeux sur ce qui est beau, me fournit encore des motifs plus puissants pour y donner mon approbation.

J’attends vos ouvrages en vers et en prose avec une égale impatience. Vous augmenterez de beaucoup, monsieur, toute la reconnaissance que je vous dois déjà. Vous pourriez donner vos productions à des personnes plus éclairées, mais jamais à aucune qui en fasse plus de cas. Votre réputation vous met au-dessus de l’éloge, mais les sentiments d’admiration que j’ai pour vous m’empêchent de me taire. Vous savez, monsieur, que, quand on sent bien quelque chose, il est difficile, pour ne pas dire impossible, de le cacher. J’entrevois tant de modestie dans la façon dont vous parlez de vos propres ouvrages que je crains de la choquer, même en ne disant qu’une partie de la vérité.

J’avoue que j’aurais une grande envie de vous voir et de connaître, monsieur, en votre personne, ce que ce siècle et la France ont produit de plus accompli. La philosophie m’apprend cependant à mettre un frein à cette envie. La considération de votre santé qui, à ce qu’on m’assure, est délicate ; vos arrangements particuliers, joints à un motif que vous pourriez avoir d’ailleurs pour ne point porter vos pas dans ces contrées, me sont des raisons suffisantes pour ne vous point presser sur ce sujet. J’aime mes amis d’une amitié désintéressée, et je préfèrerai en toutes occasions leur intérêt à mon agrément. Il suffit que vous me laissiez l’espérance de vous voir une fois dans la vie. Votre correspondance me tiendra lieu de votre personne : j’espère qu’elle sera plus facile à présent, vu la commodité des postes.

Je vous prie, monsieur, de m’avertir quand vous quitterez la Hollande pour aller en Angleterre ; en ce cas, vous pouvez remettre vos lettres à notre envoyé Borcke[1]. Je souffre beaucoup, en voyant un homme de votre mérite la victime et la proie de la méchanceté des hommes. Le suffrage que je vous donne doit, par mon éloignement, vous tenir lieu de celui de la postérité. Triste et frivole consolation ! Elle a pourtant été celle de tous les grands hommes qui, avant vous, ont souffert de la haine que les âmes basses et envieuses

  1. Ministre de Prusse en Angleterre.