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pourrait que rire et s’amuser de cette bagatelle, s’il avait un peu de bon sens. L’insolente absurdité avec laquelle certaines gens en ont parlé est un ridicule beaucoup plus grand que tous ceux que vous avez joués sur le théâtre. L’amitié, qui me retiendra peut-être en France, m’empêchera de suivre mon juste ressentiment.

Au reste, il y a plus de huit jours que j’ai laissé M. d’Argental maître absolu de finir une affaire très-désagréable, que j’aurais soutenue avec hauteur et mépris si je ne voulais pas vivre pour mes amis. Vous êtes des premières dans la liste des personnes à qui je sacrifie la fureur que j’ai pour la liberté : il est de conséquence pour moi que, dans la première lettre que vous m’écrirez, vous me parliez de la décence et des mœurs qui font le caractère de mes ouvrages. Ensuite je vous prierai de me donner vos ordres par une autre voie.

Comptez que vous n’aurez jamais de serviteur, d’ami, d’admirateur plus zélé que moi.


688. — À M. THIERIOT.
À Cirey, le 27 novembre.

Assurément vous êtes le Père Mersenne : ce n’est pas tout à fait, mon cher ami, en ce que mes ennemis vous font quelquefois tomber dans leurs sentiments, comme les ennemis de Descartes entraînaient Mersenne dans les leurs ; c’est parce que vous êtes le conciliateur des muses. Je vous permets très-fort d’aimer d’autres vers que les miens ; je suis une maîtresse assez indulgente pour souffrir les partages. Je suis de ces beautés qui aiment si fort le plaisir qu’elles ne peuvent haïr leurs rivales. J’aime tant les beaux vers que je les aime dans les autres ; c’est beaucoup pour un poëte. Je vous fais mon compliment sur votre beau portefeuille ; je voudrais bien que le Mondain y fût, et ne fût que là. Ce petit enfant tout nu n’était pas fait pour se montrer. Mais est-il possible qu’on ait pu prendre la chose sérieusement ? Il faut avoir l’absurdité et la sottise de l’âge d’or pour trouver cela dangereux, et la cruauté du siècle de fer pour persécuter l’auteur d’un badinage si innocent, fait il y a longtemps.

Ces persécutions d’un côté, et, de l’autre, une nouvelle incitation du prince de Prusse et du duc de Holstein[1] me forcent enfin à partir. Je serai bientôt à Berlin. Platon allait bien chez Denis, qui assurément ne valait pas le prince de Prusse. Cela

  1. Voyez la lettre 539.