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J’ai adressé ma lettre au prince royal à monsieur votre frère, pour la remettre au ministre de Prusse[1], que je ne connais point. À l’égard de l’Épitre en vers[2] que j’adresse à ce prince, je l’ai envoyée à M, Berger pour vous la montrer : mais je serais au désespoir qu’elle courut. L’ouvrage n’est pas fini. J’ai été deux heures à le faire, il faudrait être trois mois à le corriger ; mais je n’ai pas de temps à perdre dans le travail misérable de compasser des mots.

Un temps viendra où j’aurai plus de loisir, et où je corrigerai mes petits ouvrages. Je touche à l’âge où l’on se corrige et où l’on cesse d’imaginer.

Mille respects à votre petit Parnasse.


660. — À M. BERGER.
À Cirey, le 18 octobre.

Oui, je compte entièrement sur votre amitié et sur toutes les vertus sans lesquelles l’amitié est un être de raison. Je me fie à vous sans réserve.

Premièrement, il faut que le secret soit toujours gardé sur l’Enfant prodigue. Il n’est point joué comme je l’ai composé, il s’en faut beaucoup. Je vous enverrai l’original : vous le ferez imprimer, vous ferez marché avec Prault dans le temps ; mais surtout que l’ouvrage ne passe point pour être de moi ; j’ai mes raisons. Vous pouvez assurer MM. de Là Roque et Prévost que je n’en suis point l’auteur. Engagez-les à le publier dans leurs ouvrages périodiques, en cas que cela soit nécessaire. Vous ne sauriez me rendre un plus grand service que de détourner les soupçons du public. Je veux vous devoir tout le plaisir de l’incognito, et tout le succès du théâtre et de l’impression.

Embrassez pour moi l’aimable La Bruère. Peut-on ne pas s’intéresser tendrement aux gens que l’amour et les arts rendent heureux ? Si un opéra d’une femme réussit, j’en suis enchanté : c’est une preuve de mon petit système que les femmes sont capables de tout ce que nous faisons, et que la seule différence qui est entre elles et nous, c’est qu’elles sont plus aimables. Comment appelez-vous, par son nom[3], cette nouvelle muse

  1. Le Chambrier était le nom de l’envoyé de Prusse.
  2. Voyez tome X, page 302, et la lettre 638.
  3. Mlle  cantatrice à l’Opéra. Il s’agit de la musique composée par elle pour l’opéra-ballet intitulé les Génies élémentaires, joué en octobre 1736 ; les paroles sont de Fleury, mort en 1746. Mlle  Duval vivait encore en 1770.