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avec horreur cette indécence de la bouche de M. le comte de Lannoi : car il a cité toujours de grands noms sur des choses importantes. Je pourrais en effet avoir été un peu indévot à la messe. M. le comte de Lannoi dit cependant que « Rousseau est un menteur qui se sert de son nom très-mal à propos pour dire une impertinence ». Je ne parlerai pas ainsi. Il se peut, encore une fois, que j´aie eu des distractions à la messe : j’en suis très-fàché, messieurs. Mais, de bonne foi, est-ce à Rousseau à me le reprocher ? Trouvez-vous qu’il soit bien convenable à l’auteur de tant d’épigrammes licencieuses, à l’auteur des couplets infâmes contre ses bienfaiteurs et ses amis, à l’auteur de la Moisade, etc., de m’accuser d’avoir causé dans une église il y a seize ans ? Le pauvre homme ! Suivons, je vous prie, la petite histoire.

Premièrement, il dit qu´il me présenta chez monsieur le gouverneur des Pays-Bas. La vanité est un peu forte. Il est plus vraisemblable que j’y ai été avec la dame que j’avais l’honneur d’accompagner. Que voulez-vous ? Les hommes remplacent en vanité ce qui leur manque en éducation.

Enfin donc je le vis à Bruxelles. Il assure que je débutai par lui faire lire le poëme de la Henriade, et il me reproche beaucoup, je ne sais sur quel fondement, d’avoir pris dans ce poëme le parti du meilleur des rois et du plus grand homme de l’Europe contre des prêtres qui le calomnièrent, et qui le persécutaient. J’en demeure d’accord : Rousseau sera pour ces derniers, et moi, pour Henri IV.

Il a été fort surpris, dit-il, que j’aie substitué l’amiral de Coligny à Rosny. Notre critique, messieurs, n’est pas savant dans l´histoire : ces petites balourdises arrivent souvent à ceux qui n’ont cultivé que le talent puéril d’arranger des mots. L’amiral de Coligny était le chef d’un parti puissant sous Charles IX : il fut tué lorsique Rosny n’avait que treize ans. Rosny fut depuis ministre et favori d’Henri IV. Comment donc se pourrait-il faire que j’aie retranché de la Henriade ce Rosny pour y substituer l’amiral de Coligny ? Le fait est que j’ai mis Duplessis-Mornai à la place de Rosny. Rousseau ne sait peut-être pas que ce Duplessis-Mornai était un homme de guerre, un savant, un philosophe rigide, tel, en un mot, qu´il le fallait pour le caractère que j’avais à peindre ; mais il faut passer à un simple rimeur d’être un peu ignorant. Venons à des choses plus essentielles.

Vous allez voir, messieurs, qu’on entend quelquefois bien mal le métier qu’on a fait toute sa vie, et vous serez surpris que