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est le destin des grands hommes : leur génie supérieur les expose toujours aux traits envenimés de la calomnie et de l’envie.

Je suis à présent à faire traduire le Traité de Dieu, de l´âme, et du monde[1], émané de la plume du même auteur. Je vous l’enverrai, monsieur, dès qu’il sera achevé, et je suis sûr que la force de l’évidence vous frappera dans toutes ses propositions, qui se suivent géométriquement, et connectent les unes avec les autres comme les anneaux d’une chaîne.

La douceur et le support que vous marquez pour tous ceux qui se vouent aux arts et aux sciences me font espérer que vous ne m’exclurez pas du nombre de ceux que vous trouvez dignes de vos instructions. Je nomme ainsi votre commerce de lettres, qui ne peut être que profitable à tout être pensant. J’ose même avancer, sans déroger au mérite d’autrui, que dans l’univers entier il n’y aurait pas d’exception à faire de ceux dont vous ne pourriez être le maître. Sans vous prodiguer un encens indigne de vous être offert, je peux vous dire que je trouve des beautés sans nombre dans vos voyages. Votre Henriade me charme, et triomphe heureusement de la critique[2] peu judicieuse que l’on en a faite. La tragédie de César nous fait

    général autrichien, qui choisit malheureusement, pour le combattre, le terrain le plus défavorable, malgré les représentations des officiers français. Au sortir de cette bataille, il court à l’autre extrémité de l’Allemagne ; et, au bout d’un mois, il remporte la bataille décisive de Lissa, qui le mit au-dessus de tous les événements, comme au-dessus des plus grands capitaines de son siècle. Dans toutes ses expéditions il porta toujours l’uniforme de ses gardes ; vêtu, nourri, couché comme eux ; donnant tout à l’art de la guerre, rien au faste ni même à la nature. En qualité de roi, si l’on veut considérer son gouvernement intérieur, on verra qu’il fut le législateur de son pays, qu’il réforma la jurisprudence, abolit les procureurs, abrégea tous les procès, empêcha les fils de famille de se ruiner, bâtit des villes, plus de trois cents villages, et les peupla ; encouragea l’agriculture et les manufactures : magnifique dans les jours d’appareil, simple et frugal dans tout le reste. Si l’on veut regarder en lui les talents qui distinguent l’homme dans quelque condition qu’il puisse naître, on sera étonné qu’il ait cultivé tous les arts : la meilleure histoire, sans contredit, qu’on ait de Brandebourg est la sienne ; il a composé des vers français remplis de pensées justes et utiles ; il a été un excellent musicien ; et il n’a jamais parlé dans la conversation ni de ses talents ni de ses victoires. Il a daigné admettre à sa familiarité les gens de lettres, et ne les a jamais craints. Si, dans cette familiarité, il s’est élevé quelques nuages, il leur a fait succéder le jour le plus serein et le plus doux. — Cette notice sur le roi de Prusse a été imprimée dans les éditions de Kehl, en tête de la correspondance des deux grands hommes ; mais rien n’indique la date de sa composition. Frédéric survécut huit ans à Voltaire, et mourut le 17 auguste 1786. Il avait, en 1778, fait un Éloge de Voltaire. (B.) — L’Éloge de Voltaire par Frédéric est dans le tome Ier de la présente édition.

  1. Pensées sur Dieu, le monde, l’âme humaine.
  2. La critique dont parle le roi de Prusse doit être l’opuscule intitulé Pensées sur la Henriade, imprimées d’abord à Londres en 1728, et réimprimées sous le titre de Critique de la Henriade, à la suite de l’édition de ce poëme ; La Haye, 1728, in-12, édition encadrée. (B.) — Voyez, sur les éditions de la Henriade, etc., tome VIII, page 8.