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CORRESPONDANCE.

trois choses dont je vous ai vue douter un peu, et qui sont très-vraies. Je ne puis vous pardonner votre absence que par l’idée flatteuse que j’ai que vous allez nous préparer une retraite où je compte passer avec vous des jours délicieux. Préparez-nous votre château[1] pour longtemps, et revenez au plus vite. Si vous conservez pour moi encore quelque bonté, soyez sûre que mon dévouement pour vous est à l’épreuve de tout.

Vous m’avez laissé en partant votre mari au lieu de vous : voilà qu’il me vient prendre dans le moment que je vous écris, pour me mener chez des gens qui veulent se mettre à la tête d’une nouvelle compagnie. Pour moi, madame, qui ne sais point de compagnie plus aimable que la vôtre, et qui la préfère même à celle des Indes, quoique j’y aie une bonne partie de mon bien, je vous assure que je songe bien plutôt au désir d’aller vivre avec vous à votre campagne que je ne suis occupé du succès de l’affaire que nous entreprenons. La grande affaire et la seule qu’on doive avoir, c’est de vivre heureux, et si nous pouvions réussir à le devenir sans établir une caisse de juifrerie, ce serait autant de peine épargnée. Ce qui est très-sûr, c’est que si notre affaire échoue, j’ai une consolation toute prête dans la douceur de votre commerce, et s’il fallait opter entre votre amitié et le succès de l’affaire, assurément je ne balancerais pas.

Quittez pour un moment vos maçons et vos serruriers, pour me faire l’honneur de m’écrire un petit mot. Mandez-moi si vous êtes bien fatiguée, si vous reviendrez samedi, comment vous vous portez, et si vous avez toujours un peu d’amitié pour moi. Voilà M. de Bernières qu’on annonce ; adieu, comptez que je vous suis attaché pour toute ma vie.



50. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES.

Villars, 1722.

Si j’avais eu une chaise de poste, madame, je serais venu à Paris par l’envie que j’ai de vous faire ma cour plus que par l’empressement de finir l’affaire ; je ne l’ai pas négligée, quoique je sois resté à Villars. On m’a écrit que M. le Régent a donné sa parole, et comme j’ai celle de la personne[2] qui l’a obtenue du Régent, je ne crains point qu’on se serve d’un autre canal que le

  1. La Rivière-Bourdet, château situé sur la rive droite de la Seine, près de Rouen, dans la commune de Quévillon.
  2. Le duc de Richelieu sans doute. (A. F.)