Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/70

Cette page a été validée par deux contributeurs.
52
CORRESPONDANCE.

Et nous permette la saillie
Du madrigal et des chansons.
Quitte Anacréon pour Virgile,
Laisse là ce voluptueux :
Il fit le portrait de Bathile ;
Mais jamais son pinceau facile
N’eût su peindre nos demi-dieux.

Que Hénault, sur sa musette,
Chante les Jeux, les Amours ;
Qu’il dérobe la houlette
Au petit berger La Tour ;
Que toujours tendre, infidèle,

Hypocrite du sentiment,

Il amuse chaque belle
Du récit de son tourment,

Chacun exerce son talent.
Pour toi volant à tire-d’aile,
Tu suis la muse qui t’appelle ;

 
Dans les moments les plus doux,
Si tu nous peins Gabrielle,
Je vois Mars à ses genoux.

La fièvre qui m’a dicté ces vers vient, heureusement pour vous, les interrompre. Vous ne serez pas surpris que je vous écrive avant votre départ, vous qui faites l’éloge funèbre de l’abbé de Chaulieu avant sa mort ; quoique muni d’épitaphe et de sacrement, il vit encore, et n’est pas sans espérance[1]. Adieu, je suis au lit et ne sais point de nouvelles ; faites ma cour à notre duc, et lui cachez mes extravagances.

Bientôt aux rives chéries.
Où vous passez d’heureux jours,
À vos utiles discours

J’irai mêler mes rêveries :

Nous parlerons de bons mots et d’amour,

De prose et vers, de raison même.
De tout enfin, hors du système.


Faites-moi réponse et brûlez ma lettre ; je devais le faire moi-même, et je vous avoue que je ne croyais pas vous écrire en vers : brûlez vite et ne vous moquez guère de moi.



40. — À M. DE GÉNONVILLE[2].

Ami, que je chéris de cette amitié rare
Dont Pylade a donné l’exemple à l’univers.

Et dont Chaulieu chérit La Fare ;

  1. Chaulieu mourut le 27 juin 1720.
  2. Le Fèvre de La Faluère de Genonville, conseiller au parlement de Paris, mort vers 1720. Quelques personnes pensent que c’est à lui que furent adressées les Lettres sur OEdipe ; voyez tome II, page 11.