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CORRESPONDANCE.

37. — À MADAME LA MARQUISE DE MIMEURE.

1719.

On ne peut vaincre sa destinée : je comptais, madame, ne quitter la solitude délicieuse où je suis[1] que pour aller à Sully ; mais M. le duc et Mme la duchesse de Sully vont à Villars, et me voilà malgré moi, dans la nécessité de les y aller trouver. On a su me déterrer dans mon ermitage pour me prier d’aller à Villars ; mais on ne m’y fera point perdre mon repos[2]. Je porte à présent un manteau de philosophe dont je ne me déferai pour rien au monde.

Vous ne me reverrez de longtemps, madame la marquise ; mais je me flatte que vous vous souviendrez un peu de moi, et que vous serez toujours sensible à la tendre et véritable amitié que vous savez que j’ai pour vous. Faites-moi l’honneur de m’écrire quelquefois des nouvelles de votre santé et de vos affaires ; vous ne trouverez jamais personne qui s’y intéresse autant que moi.

Je vous prie de m’envoyer le petit emplâtre que vous m’avez promis pour le bouton qui m’est venu sur l’œil. Surtout ne croyez point que ce soit coquetterie, et que je veuille paraître à Villars avec un désagrément de moins. Mes yeux commencent à ne me plus intéresser qu’autant que je m’en sers pour lire et pour vous écrire. Je ne crains plus même les yeux de personne ; et le poëme de Henri IV et mon amitié pour vous sont les deux seuls sentiments vifs que je me connaisse.



38. — À MADAME LA MARQUISE DE MIMEURE.

1719.

Je vais demain à Villars ; je regrette infiniment la campagne que je quitte, et ne crains guère celle où je vais.

Vous vous moquez de ma présomption, madame, et vous me croyez d’autant plus faible que je me crois raisonnable. Nous

  1. Au Bruel, chez le duc de La Feuillade.
  2. Allusion à la passion violente qu’il venait d’avoir pour Jeanne-Angélique Roque de Varangeville, mariée au maréchal de Villars en 1702. Voltaire ne commença à connaître cette dame que dans la seconde quinzaine de novembre 1718, après l’une des premières représentations d’Œdipe. Il conserva pour elle beaucoup d’attachement et de respect, quoiqu’elle fût devenue très-dévote il la qualifie d’aimable sainte, de sainte duchesse, dans sa lettre du 1er février 1743 à Moncrif, et dans quelques autres de 1745 et de 1746. (Cl.)