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d’avoir imprimé ces malhonnêtetés après ce qu’on a fait nouvellement pour vous justifier d’avoir fait une pièce contraire aux bonnes mœurs et construite en dépit du bon sens. Votre scène de Shakespeare dément l’apologie de votre Brutus, assassin de son père, quoiqu’elle soit fort belle. Il y a aussi une scène des conjurés, qui est admirable, mais

Infelix operis summa quia ponere totum
Nescit.

(Horace.)

Voilà bien des duretés que je vous dis ; mais je suis bien en colère. Cependant ma fureur est toute renfermée dans cette lettre. Je ne me plaindrai à qui que ce soit, et il ne tiendra qu’à vous que je recommence à être de vos amis : car je n’en suis pas jusqu’à ce que vous m’ayez fait raison.

L’abbé Desfontaines.

532. — À M. BERGER.
À Cirey, le l 1er décembre.

Au nom de Rameau, ma froide veine se réchaufle, monsieur. Vous me dites qu’il a besoin de quelque guenille pour faire exécuter des morceaux de musique chez M. le prince de Carignan. Voici de mauvais vers, mais tels qu’il les faut, je crois, pour faire briller un musicien. S’il veut broder de son or cette étoffe grossière, la voici[1]:

Fille du ciel, ô charmante Harmonie !
Descendez, et venez briller dans nos concerts,
La nature imitée est par vous embellie.
Fille du ciel, reine de l’Italie,
Vous commandez à l’univers.
Brillez, divine Harmonie,
C’est vous qui nous captivez.
Par vos chants vous vous élevez
Dans le sein du lieu du tonnerre ;
Vos trompettes et vos tambours
Sont la voix du dieu de la guerre.
Vous soupirez dans les bras des Amours.
Le Sommeil, caressé des mains de la Nature,
S’éveille à votre voix ;
Le badinage avec tendresse
Respire dans vos chants, folâtre sous vos doigts.
Quand le dieu terrible des armes

  1. On trouve dans l’Esthétique de Jean-Paul Richter une critique de cette pièce de vers, que l’Allemand s’amuse à éplucher mot à mot. (G. A.)