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spirituelle et immortelle. On est donc réduit à dire, ou qu’une puce a une âme immortelle, ou que Dieu a donné à la matière le don de sentir : or s’il a pu accorder à certains corps la sensation, pourquoi lui sera-t-il impossible d’accorder la pensée à d’autres ?

Pour prouver encore qu’on ne peut dire qu’il soit impossible à Dieu de donner, par son action, la pensée au corps, et pour faire voir combien il est faux de dire : Ce qui n’est pas divisible ne peut appartenir à la matière, je vous avais apporté l’exemple du mouvement.

Le mouvement n’est pas divisible ; la vie, la végétation, l’électricité, ne sont pas divisibles ; cependant l’électricité, la vie, la végétation, le mouvement, appartiennent à la matière : donc la matière a des propriétés, et peut-être sans nombre, qui ne sont pas divisibles. Il peut y avoir du plus ou du moins dans ces propriétés, il y en a aussi dans la propriété de la pensée. Un corps est plus ou moins en mouvement, une pensée est plus ou moins vive, plus ou moins forte, plus ou moins claire.

Je vous avais surtout apporté l’exemple de la gravitation, qui est un principe qui agit à des distances immenses, qui semble n’avoir rien de corporel, et qui cependant est le grand ressort de la nature. Je vous avais demandé ce que vous en pensiez, et si vous le connaissiez ; et là-dessus voici comme vous me faites l’honneur de me répondre : « Oui, monsieur, les corps pèsent ; les calculs du célèbre Newton ne m’en convainquent pas plus que les sens. Un corps pèse sur l’autre, c’est-à-dire qu’un corps pousse l’autre. »

Je soupçonne qu’il y a là quelque faute du libraire, car il n’est pas vraisemblable que ce soit là le sentiment d’un homme aussi savant que vous. Vous n’ignorez pas sans doute ce que c’est que cette propriété de la nature appelée gravitation, ou attraction, on force centripète ; et si je vous le demandais, vous me répondriez, avec Newton et avec tous ceux qui ont étudié les vérités découvertes par ce grand homme : La gravitation, l’attraction est la propriété par laquelle tous les corps tendent à s’approcher les uns des autres, sans aucun besoin d’une impulsion étrangère et de matière intermédiaire ; et cela en raison directe de la quantité de leur masse, et en raison double inverse des distances. Cette propriété de la matière, inconnue jusqu’à nous, a été découverte et prouvée, je dis prouvée par ce grand philosophe, et ses preuves sont toutes fondées sur les lois de Kepler que les planètes observent dans leurs révolutions, sur les inégalités des mouvements