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CORRESPONDANCE.

Mais peut-être de Dieu maudit,
Puisqu’il aime et qu’il versifie.

Notre premier dessein était d’envoyer à Votre Altesse un ouvrage dans les formes, moitié vers, moitié prose, comme en usaient les Chapelle, les Desbarreaux, les Hamilton, contemporains de l’abbé, et nos maîtres. J’aurais presque ajouté Voiture, si je ne craignais de fâcher mon confrère, qui prétend, je ne sais pourquoi, n’être pas assez vieux pour l’avoir vu.

L’abbé, comme il est paresseux,
Se réservait la prose à faire,
Abandonnant à son confrère
L’emploi flatteur et dangereux
De rimer quelques vers heureux,
Qui peut-être auraient pu déplaire
À certain censeur rigoureux
Dont le nom doit ici se taire.

Comme il y a des choses assez hardies à dire par le temps qui court, le plus sage de nous deux, qui n’est pas moi, ne voulait en parler qu’à condition qu’on n’en saurait rien.

Il alla donc vers le dieu du mystère[1],
Dieu des Normands, par moi très-peu fêté,
Qui parle bas quand il ne peut se taire,
Baisse les yeux et marche de côté.
Il favorise, et certes c’est dommage,
Force fripons ; mais il conduit le sage.
Il est au bal, à l’église, à la cour ;
Au temps jadis il a guidé l’Amour.

Malheureusement ce dieu n’était pas à Sully ; il était en tiers, dit-on, entre M. l’archevêque de… et Mme  de… sans cela nous eussions achevé notre ouvrage sous ses yeux.

Nous eussions peint les jeux voltigeant sur vos traces ;
Et cet esprit charmant, au sein d’un doux loisir,

Agréable dans le plaisir,
Héroïque dans les disgrâces.

Nous vous eussions parlé de ces bienheureux jours,

Jours consacrés à la tendresse.
Nous vous eussions, avec adresse,
Fait la peinture des amours,
Et des amours de toute espèce.

  1. Ces vers ont été, avec quelques variantes, reproduits dans la Pucelle, cliant XI.