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s’expose ? Que dira-t-il quand il verra à la tête de la Henriade, ou de mes autres ouvrages, l’histoire de son ingratitude ?

J’ai lu aussi cette indigne Critique des Lettres philosophiques. Vous croyez bien que je la regarde avec le profond mépris qu’elle mérite ; mais je vois que les calomnies s’accréditent toujours. Ce méchant livre n’est que l’écho des cris des misérables auteurs qui ne cessent d’aboyer contre moi. Que de bassesse et que d’horreurs chez les gens de lettres ! Eux qui devraient apprendre à penser aux autres hommes, et enseigner la raison et la vertu, ne servent qu’à déshonorer l’espèce humaine. Un misérable auteur famélique, qui imprime ses sottises ou celles des autres pour vivre, s’imagine que c’est dans ce dessein que j’ai donné des ouvrages au public. Il ose dire que j’ai trompé mon libraire, au sujet de ces Lettres que vous connaissez. Quelle indignité et quelle misère ! Devez-vous souffrir, mon cher Thieriot, une accusation pareille ? Vous, pour qui seul ces Lettres ont été imprimées en Angleterre, supportez-vous qu’on m’accuse d’avoir travaillé pour moi ? La probité ne vous engage-t-elle pas à réfuter, une bonne fois pour toutes, ces odieuses imputations ? Engagez un peu l’abbé Prévost à entrer sagement dans ce détail, en parlant de la Critique des Lettres philosophiques. J’ai extrêmement à cœur que le public soit désabusé des bruits injurieux qui ont couru sur mon caractère. Un homme qui néglige sa réputation est indigne d’en avoir ; j’en suis jaloux, et vous devez l’être, vous qui êtes mon ami. Il vous sera très-aisé de faire insérer dans le Pour et Contre quelques réflexions générales sur les calomnies dont les gens de lettres sont souvent accablés. L’auteur pourrait, après avoir cité quelques exemples, parler de l’accusation générale que j’ai essuyée, au sujet des souscriptions[1] de la Henriade, que j’ai toutes remboursées de mon argent aux souscripteurs français qui ont négligé d’envoyer à Londres ; de sorte que la Henriade, qui m’a valu quelque avantage en Angleterre, m’a coûté beaucoup en France, et je suis assurément le seul homme à qui cela soit arrivé. Il pourrait ensuite réfuter les autres calomnies qu’on a entassées dans mon prétendu Portrait, en disant ce que j’ai fait en faveur de plusieurs gens de lettres, lorsque j’étais à Paris. Ces faits avérés sont une réponse décisive à toutes les calomnies. On y pourrait ajouter que l’abbé Desfontaines, qui m’outrage tous les huit jours, est l’homme du monde qui m’a le plus d’obligations. Tout cela, dicté par la bonté de votre cœur et

  1. Lettre 310, au libraire Josse.