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piquent un moment et disparaissent pour jamais. Parmi les sottises qu’on imprime, j’ai vu avec douleur une certaine tragédie de moi nommée la Mort de César, Les éditeurs ont massacré ce Cesar plus que n’ont jamais fait Brutus et Cassius.. J’admire l’abbé Desfontaines de m’imputer toutes les pauvretés, les mauvais vers les phrases inintelligibles, les scènes tronquées et transposées, qui sont dans cette misérable édition ! Un homme de goût distingue aisément la main de l’ouvrier ; il sait qu’il y a certains défauts dont un auteur, qui connaît les premières règles de son art est incapable ; mais il parait que l’abbé Desfontaines sait bien mal les règles du goût, de l’équité, de la raison, de la société, et, surtout, de la reconnaissance. Il n’y a point de lecteur qui ne doivent être indigné, quand cet abbé compare les stoïciens aux quakers. Il ne sait pas que les quakers sont des gens pacifiques les agneaux de ce monde ; que c’est un point de la religion chez eux de ne jamais aller à la guerre, de ne porter pas même une épée. C’est avec autant d’erreur qu’il prononce que Brutus était un particulier ; tout le monde sait assez qu’il était sénateur et préteur ; que tous les conjurés étaient sénateurs, etc. Je ne relèverai point toutes les méprises dans lesquelles il tombe ; mais je vous avoue que toute ma patience m’abandonne quand il ose dire que la Mort de César est une pièce contre les mœurs[1]. Est-ce donc à lui a parler de mœurs ? Pourquoi fait-il imprimer une lettre[2] que je lui ai écrite avec confiance ? Il trahit le premier devoir de la société.

Je le priais de garder le secret sur ma lettre et sur le lieu ou je suis et de dire seulement, en deux mots, que cette impertinente édition de la mort de César n’a presque rien de commun avec mon ouvrage : au lieu de faire ce que je lui demande, il imprime une satire, où il n’y a ni raison ni équité ; et, au bout de cette satire, il donne ma lettre au public. On croirait peut-être, à ce procédé, que c’est un homme qui a beaucoup à se plaindre de moi, et qui cherche à se venger à tort et à travers ; ces cependant ce même homme pour qui je me traînai à Versaille, étant presque à l’agonie ; pour qui je sollicitai toute la cour, et qu’enfin je tirai de Bicêtre. C’est ce même homme que le ministère voulait faire brûler, contre qui les procédures étaient commencées ; c’est lui à qui j’ai sauvé l’honneur et la vie ; c’est lui que j ai loué comme un assez bon écrivain, quoiqu’il m’eût

  1. Observations, tome II, page 272.
  2. Celle du 7 septembre.