Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/532

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

veraient cela horrible ; on ne reconnaîtrait pas l’auteur de la tendre Zaïre. Mais

Ridetur chorda qui semper oberrat eadem.

(Hor., de Arte poet., v. 356.)

Vale, scribe, ama.


498. — Á M. BERGER.
À Cirey, le 24 août.

Vos lettres ajoutent un nouveau charme à la douceur dont je jouis dans la solitude où je me suis retiré, loin du monde bruyant, méchant et misérable ; loin des mauvais poètes et des mauvais critiques. J’aime mille fois mieux savoir par vous des nouvelles de tout ce qui se passe que d’en être le témoin. Il y a une infinité d’événements qui ennuient le spectateur, et qui deviennent intéressants quand ils sont bien contés. Vous m’embellissez, par vos lettres, les sottises de mon siècle. Je les lis à une personne respectable et bien aimable, dont le goût est universel ; vos lettres lui plaisent infiniment. Je suis bien aise de vous faire cette petite trahison, afin de vous engager à m’écrire plus souvent. S’il n’y avait que moi qui lusse vos lettres, je vous prierais encore de m’en favoriser chaque jour par le seul intérêt de mon plaisir ; mais puisqu’elles font les délices d’une personne à qui tout le monde voudrait plaire, c’est votre amour-propre qui y est intéressé à présent.

Mandez-moi donc si le grand musicien Rameau est aussi maximus in minimis, et si, de la sublimité de sa grande musique, il descend avec succès aux grâces naïves du ballet. J’aime les gens qui savent quitter le sublime pour badiner. Je voudrais que Newton eût fait des vaudevilles ; je l’en estimerais davantage. Celui qui n’a qu’un talent peut être un grand génie ; celui qui en a plusieurs est plus aimable. C’est apparemment parce que je suis le très-humble serviteur de ceux qui touchent à la fois aux deux extrémités qu’on m’a gravé à côté de M. de Fontenelle. Mon ami Thieriot s’est fait peindre avec la Henriade à la main. Si j’ai une copie de ce portrait, j’aurai ma maîtresse et mon ami dans un cadre. Mandez-moi si vous le voyez quelquefois à l’Opéra, et aiguillonnez un peu la paresse qu’il a d’écrire. Adieu ; je vous embrasse tendrement.