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commence à faire le géomètre et le physicien. On se mêle de raisonner. Le sentiment, l’imagination, et les grâces, sont bannis. Un homme qui aurait vécu sous Louis XIV, et qui reviendrait au monde, ne reconnaîtrait plus les Français ; il croirait que les Allemands ont conquis ce pays-ci. Les belles-lettres périssent à vue d’œil. Ce n’est pas que je sois fâché que la philosophie soit cultivée, mais je ne voudrais pas qu’elle devînt un tyran qui exclût tout le reste. Elle n’est en France qu’une mode qui succède à d’autres, et qui passera à son tour ; mais aucun art, aucune science ne doit être de mode. Il faut qu’ils se tiennent tous par la main ; il faut qu’on les cultive en tout temps.

Je ne veux point payer de tribut à la mode ; je veux passer d’une expérience de physique à un opéra ou à une comédie, et que mon goût ne soit jamais émoussé par l’étude. C’est votre goût, mon cher Cideville, qui soutiendra toujours le mien ; mais il faudrait vous voir, il faudrait passer avec vous quelques mois ; et notre destinée nous sépare, quand tout devrait nous réunir.

J’ai vu Jore à votre semonce ; c’est un grand écervelé. Il a causé tout le mal, pour s’être conduit ridiculement. Il n’y a rien à faire pour Linant, ni auprès de la présidente, ni au théâtre. Il faut qu’il songe à être précepteur. Je lui fais apprendre à écrire ; après quoi il faudra qu’il apprenne le latin, s’il veut le montrer. Ne le gâtez point, si vous l’aimez. Vale. V.


475. — Á M. DE F ORMONT.
Ce 17 avril.

Mon cher Formont, vous me pardonnerez si vous voulez ; mais je ne me rends point encore sur Julien. Je ne peux croire qu’il ait eu les ridicules qu’on lui attribue ; qu’il se soit fait débaptiser et tauroboliser de bonne foi. Je lui pardonne d’avoir haï la secte dont était l’empereur Constance, son ennemi ; mais il ne m’entre point dans la tête qu’il ait cru sérieusement au paganisme. On a beau me dire qu’il assistait aux processions, et qu’il immolait des victimes : Cicéron en faisait autant, et Julien était dans l’obligation de paraître dévot au paganisme ; mais je ne peux juger d’un homme que par ses écrits ; je lis les Césars, et je ne trouve dans cette satire rien qui sente la superstition. Le discours même qu’on lui fait tenir, à sa mort, n’est que celui d’un d′philosophe. Il est bien difficile de juger d’un homme après quatorze cents ans ; mais au moins n’est-il pas permis de l’accuser