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et qui a eu soin de votre éducation comme de celle de madame votre sœur. Je vous retrouve à tout moment dans elle, et je crois qu’elle ne vous regrette pas plus que moi.

Adieu, monsieur ; conservez quelque bonté pour un homme dont vous connaissez la respectueuse tendresse pour vous.


466. — Á M. DE FORMONT.
Le 13 février.

Si Mme du Deffant, mon cher ami, avait toujours un secrétaire comme vous, elle ferait bien de passer une partie de sa vie a écrire. Faites souvent, je vous en prie, en votre nom, ce que vous avez fait au sien ; consolez-moi de votre absence et de la sienne par le commerce aimable de vos lettres.

Je n’ai point encore vu les Mémoires d’Hector[1] ; mais, vrais ou faux, je doute qu’ils soient bien intéressants, car, après tout, que pourront-ils contenir que des sièges, des campements, des villes prises et perdues, de grandes défaites, de petites victoires ? On trouve de cela partout ; il n’y a point de siècle qui n’ait sa demi-douzaine de Villars et de princes Eugène. Les contemporains, qui ont vu une partie de ces événements, les liront pour les critiquer, et la postérité s’embarrassera peu qu’un général français ait gagné la bataille de Friedlingen et ait perdu celle de Malplaquet. Le maréchal de Villars avait l’humeur un peu romanesque ; mais sa conduite et ses aventures ne tiennent pas assez du roman pour divertir son lecteur.

Qu’un prince, comme Charles II, qui a vu son père sur l’échafaud, et qui a été contraint lui-même de fuir à travers son royaume, déguisé en postillon ; qui a demeuré deux jours dans le creux d’un chêne, lequel chêne, par parenthèse, est mis au rang des constellations ; qu’un tel prince, dis-je, fasse des mémoires, on les lira plus volontiers que les Amadis. Il en est des livres comme des pièces de théâtre : si vous n’intéressez pas votre monde, vous ne tenez rien. Si Charles XII n’avait pas été excessivement grand, malheureux et fou, je me serais bien donné de

  1. Le maréchal de Villars (voyez tome XIV, pages 21 et 142), s’appelait Louis-Claude, et non Hector, Voltaire, en lui donnant ce dernier nom, fait allusion à ce vers latin d’un Allemand :

    Hic novus Hector adost, quem contra nullus Achillos ;

    dont d’Alembert, dans son Éloge de Villars, rapporte cette traduction :

    Cet Hector que tu vois n’a point trouvé d’Achille.