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Il veut vous voir, allez ; et plût aux dieux
Qu’ainsi que vous je parusse à ses yeux !
Ne craignez point son goût ni sa prudence ;
Puisqu’il est sage, il est plein d’indulgence.
Allez d’abord saluer humblement
Ses vers heureux, ses vers qui vous effacent ;
Aimez-les tous, encor qu’ils vous surpassent[1],
Et faites-leur ce petit compliment :
« Frères très-chers, enfants de Cideville,
Recevez-nous avec cet air facile
Que votre père a répandu sur vous.
Nous sommes fils de son ami Voltaire.
Par charité, beaux vers, apprenez-nous
L’art d’être aimé[2] : c’est l’art de votre père. »

Voilà le petit compliment que je vous faisais, mon cher ami, en arrangeant ces guenilles[3], que j’aurais dû vous envoyer il y a longtemps. Votre lettre du 24 janvier me fait rougir de ma paresse ; mais quand il faut revoir tant de petites pièces dont la plupart sont bien faibles, et qu’on sent qu’il faut vous les envoyer, on est honteux, et l’on demande du temps. Enfin vous les aurez, ce mois-ci, mal en ordre, mal transcrites,

· · · · · · · · · · · · · · · Nec Sosiorum pumice munde.

(Hor., liv. I, ep. xx, v. 2)

Il y en a même quelques-unes qui manquent. Je n’ai pas, par exemple, cette façon d’épithalame[4] à Mme  de Richelieu. Si vous l’avez, faites-moi le plaisir de me l’envoyer. Je vous avertis encore que je mets une condition fort raisonnable à mon marché ; c’est que vous aurez la bonté, quand vous m’écrirez, de grossir votre paquet de quelques-unes de vos petites pièces. Je veux absolument avoir de vos vers pour vos maîtresses. Ils doivent être bien tendres et bien animés, quoique pleins d’esprit. Égayez ma solitude, mon cher ami, par vos petits ouvrages qui doivent respirer la volupté.

N’êtes-vous pas bien content de l’épître de M. de Formont à l’abbé du Resnel ? Mais comment va la tragédie de Linant ? Je lui

  1. Variante :
    Estimez-les autant qu’ils vous surpassent.
  2. Variante :
    L’art de charmer, c’est…
  3. Le recueil de ses poésies fugitives, copiées par son valet de chambre Céran.
  4. Voyez tome X, page 289.