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ser vis-à-vis Saint-Gervais, mais que je n’ai point encore reçu. J’entends dire beaucoup de bien de la Vie de l’empereur Julien, quoique faite par un prêtre[1]. Je m’en étonne, car si cette histoire est bonne, le prêtre doit être à la Bastille. On m’a parlé aussi d’un traité sur le commerce[2], de M, Melon. La suppression de son livre ne m’en donne pas une meilleure idée, car je me souviens qu’il nous régala, il y a quelques années, d’un certain Mahmoud[3] qui, pour être défendu, n’en était pas moins mauvais. Je veux lire cependant son traité sur le commerce : car, au bout du compte, M. Melon a du sens et des connaissances, et il est plus propre à faire un ouvrage de calcul qu’un roman. J’attends avec impatience la comédie[4] de M. de La Chaussée ; il y aura surement des vers bien faits, et vous savez combien je les aime.

Mais écrivez-moi donc souvent, mon cher et aimable philosophe. Vous avez soupé avec Émilie ; j’aurais été assez aise d’en être. Voyez-vous toujours Mme  du Deffant ? Elle m’a abandonné net. Je dois une lettre à notre tendre et charmant Cideville. Pour Thieriot, je ne sais ce que je lui dois. On me mande qu’il m’a tourné casaque publiquement ; je ne le veux pas croire pour l’honneur de l’humanité. Vale ; te amplector.


461. — Á M. DE CIDEVILLE.
6 février.

Allez, mes vers, aux rivages de Seine ;
N’arrêtez point dans les murs de Paris ;
Gardez-vous-en, les arts y sont proscrits ;
Des gens dévots la sottise et la haine
Y font la guerre à tous les bons écrits.
Vers indiscrets, enfants de la nature,
Dictés souvent par ce fripon d’Amour,
Ou par la voix de la vérité pure,
Fuyez Paris, n’allez point à la cour,
Si vous n’avez onguent pour la brûlure[5].
Allez plus loin, sur le bord neustrien ;
Vous y verrez certain homme de bien,
Qui réunit, voluptueux et sage.
L’art de penser au riant badinage.

  1. Jean-Philippe-René de La Bletterie, né à Rennes en 1696, mort le 1er juin 1772, traducteur de Tacite.
  2. Voyez la note 6, tome XXII, page 360.
  3. Mahmoud le Gasnevide, histoire orientale ; 1729, in-8o.
  4. Le Préjugé à la mode, joué pour la première fois le 3 février 1735.
  5. Allusion à l’arrêt rendu le 10 juin 1734.