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l’injure que l’on m’a faite de glisser le nom de Crozat dans l’Épître à Émilie. Je ne connais et n’ai jamais vu ni M. Crozat l’aîné, ni monsieur son frère, et je ne vois pas pourquoi on a été fourrer là leur nom, si ce n’est pour me faire un ennemi de plus ; mais, si ces messieurs sont sages, ils doivent faire comme moi, qui regarde avec un profond mépris toutes ces misères. J’écrirai bientôt à M. Sinetti, et je prierai M. Demoulin de faire un petit ballot de livres que je veux lui envoyer. Je vous supplie, monsieur, d’être persuadé de mon amitié, et de me conserver la vôtre. Permettez-moi d’assurer M. Bernard de mon estime et de mon amitié.

J’ai l’honneur d’être, etc.


447. — Á M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Décembre.

Je vous envoie, mon charmant ami, une tragédies[1], au lieu de moi. Si elle n’a pas l’air d’être l’ouvrage d’un bon poète, elle aura celui d’être, au moins, d’un bon chrétien ; et, par le temps qui courts[2], il vaut mieux faire sa cour à la religion qu’à la poésie. Si elle n’est bonne qu’à vous amuser quelques moments, je ne croirai pas avoir perdu ceux que j’ai passés à la composer ; elle a servi à faire passer quelques heures à Mme du Châtelet. Elle et vous me tenez lieu du public ; vous êtes seulement l’un et l’autre plus éclairés et plus indulgents que le parterre. Si, après l’avoir lue, vous la jugez capable de paraître devant ce tribunal dangereux, c’est une aventure périlleuse que j’abandonne à votre discrétion, et que j’ose recommander à votre amitié. Surtout laissez-moi goûter le plaisir de penser que vous avez seul, avec Mme du Châtelet, les prémices de cet ouvrage. Je ne peux pas assurément exclure monsieur votre frère de la confidence ; mais, hors lui, je vous demande en grâce que personne n’y soit admis. Vous pourriez faire présenter l’ouvrage à l’examen secrètement, et sans qu’on me soupçonnât. Je consens qu’on me devine à la première représentation ; je serais même fâché que les connaisseurs s’y pussent méprendre ; mais je ne veux pas que les curieux sachent le secret avant le temps, et que les cabales, toujours prêtes à accabler un pauvre homme, aient le temps de se former. De plus, il y a bien des choses dans la pièce qui passeraient pour des sentiments

  1. Alzire.
  2. Allusion à l’arrêt du 10 juin.