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messieurs sont tombés en apoplexie. Il pourrait peut-être arriver à peu près la même chose à mon livre ; peut-être quelque conseiller pensant lira les Lettres philosophiques avec plaisir, quoiqu’elles soient proscrites par arrêt. Je les ai relues hier avec attention, pour voir ce qui a pu choquer si vivement les idées reçues. Je crois que la manière plaisante dont certaines choses y sont tournées aura fait généralement penser qu’un homme qui traite si gaiement les quakers et les anglicans ne peut faire son salut cum timore et tremore[1], et est un très-mauvais chrétien. Ce sont les termes, et non les choses, qui révoltent l’esprit humain. Si M. Newton ne s’était pas servi du mot d’attraction, dans son admirable philosophie, toute votre Académie aurait ouvert les yeux à la lumière ; mais il a eu le malheur de se servir à Londres d’un mot auquel on avait attaché une idée ridicule à Paris ; et, sur cela seul, on lui a fait ici son procès avec une témérité qui fera un jour peu d’honneur à ses ennemis.

S’il est permis de comparer les petites choses aux grandes, j’ose dire qu’on a jugé mes idées sur des mots. Si je n’avais pas égayé la matière, personne n’eût été scandalisé ; mais aussi personne ne m’aurait lu.

On a cru qu’un Français qui plaisantait les quakers, qui prenait le parti de Locke, et qui trouvait de mauvais raisonnements dans Pascal, était un athée. Remarquez, je vous prie, si l’existence d’un Dieu, dont je suis réellement très-convaincu, n’est pas clairement admise dans tout mon livre. Cependant les hommes, qui abusent toujours des mots, appelleront également athée celui qui niera un Dieu, et celui qui disputera sur la nécessité du péché originel. Les esprits ainsi prévenus ont crié contre les Lettres sur M. Locke et sur les Pensées de M. Pascal.

Ma Lettre sur Locke se réduit uniquement à ceci : « La raison humaine ne saurait démontrer qu’il soit impossible à Dieu d’ajouter la pensée à la matière. Cette proposition est, je crois, aussi vraie que celle-ci : les triangles qui ont même base et même hauteur sont égaux.

À l’égard de Pascal, le grand point de la question roule visiblement sur ceci, savoir, si la raison humaine suffit pour prouver deux natures dans l’homme. Je sais que Platon a eu cette idée, et qu’elle est très-ingénieuse ; mais il s’en faut bien qu’elle soit philosophique. Je crois le péché originel, quand la religion me l’a révélé ; mais je ne crois point les androgynes, quand

  1. Tobie, xiii, 6 ; et II Corinth., vii, 15.