vous en êtes bien persuadée ; songez par combien de raisons la Hollande doit vous être odieuse. Une vie douce et tranquille à Paris n’est-elle pas préférable à la compagnie de madame votre mère ? Et des biens considérables dans une belle ville ne valent-ils pas mieux que la pauvreté à la Haye ? Ne vous piquez pas là-dessus de sentiments que vous nommez héroïques ; l’intérêt ne doit jamais, je l’avoue, être assez fort pour faire commettre une mauvaise action ; mais aussi le désintéressement ne doit pas empêcher d’en faire une bonne, lorsqu’on y trouve son compte. Croyez-moi, vous méritez d’être heureuse, vous êtes faite pour briller partout ; on ne brille point sans biens, et on ne vous blàmera jamais lorsque vous jouirez d’une bonne fortune, et vos calomniateurs vous respecteront alors ; enfin vous m’aimez, et je ne serais pas retourné en France si je n’avais cru que vous me suivriez bientôt ; vous me l’avez promis, et vous, qui avez de si beaux sentiments, vous ne trahirez pas vos promesses. Vous n’avez qu’un moyen pour revenir : M. Le Normant, évêque d’Évreux, est, je crois, votre cousin ; écrivez-lui, et que la religion et l’amitié pour votre famille soient vos deux motifs auprès de lui ; insistez surtout sur l’article de la religion ; dites-lui que le roi souhaite la conversion des huguenots, et que, étant ministre du Seigneur, et votre parent, il doit, par toutes sortes de raisons, favoriser votre retour ; conjurez-le d’engager monsieur votre père dans un dessein si juste ; marquez-lui que vous voulez vous retirer dans une communauté, non comme religieuse pourtant, je n’ai garde de vous le conseiller : ne manquez pas à le nommer monseigneur. Vous pouvez adresser votre lettre à Monseigneur l’évêque d’Évreux, à Évreux, en Normandie ; je vous manderai le succès de la lettre, que je saurai par le P. Tournemine. Que je serais heureux si, après tant de traverses, nous pouvions nous revoir à Paris ! Le plaisir de vous voir réparerait mes malheurs ; et si ma fidélité peut réparer les vôtres, vous êtes sûre d’être consolée. En vérité ce n’est qu’en tremblant que je songe à tout ce que vous avez souffert, et j’avoue que vous avez besoin de consolation : que ne puis-je vous en donner, en vous disant que je vous aimerai toute ma vie ! Ne manquez pas, je vous en conjure, d’écrire à l’évêque d’Évreux, et cela le plus tôt que vous pourrez : mandez-moi comment vous vous portez depuis votre maladie, et écrivez-moi : À M. de Saint-Fort, chez M. Alain, procureur au Châtelet, rue Pavée-Saint-Bernard. Adieu, ma chère Pimpette ; vous savez que je vous aimerai toujours.
Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/45
Cette page a été validée par deux contributeurs.
27
ANNÉE 1714.
Arouet.